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La mort muette

Volker Kutscher

Seuil

  • Conseillé par
    17 mars 2011

    Berlin, fin février/début mars 1930, Betty Winter actrice du cinéma muet qui tourne son premier film parlant meurt accidentellement de la chute d'un projecteur. Du moins, c'est la thèse du départ. Puis, une autre actrice, elle-même en début de tournage d'un film parlant disparaît. Gereon Rath, commissaire est sur l'enquête, jusqu'à ce que celle-ci ait du retentissement, car à ce moment-là, son supérieur le débarque pour reprendre le flambeau. Mais Gereon a de l'avance, ce qui ne plaît pas à tout le monde.

    Revoilà donc Gereon Rath de retour. J'avais aimé sa première aventure, Le poisson mouillé, dans le Berlin de l'année 1929, qui appelait une suite. J'ai beaucoup aimé cette mort muette qui n'est pas le dernier puisqu'une troisième enquête est écrite et en cours de traduction. Gros livre (667 pages !) qui ne lasse jamais. Cependant, je débute par ma retenue qui vient du contexte : on le sent bien présent, mais l'auteur y fait référence à doses homéopathiques. En 1930, à Berlin, les communiste et les nazis s'affrontent assez violemment dans les rues, la police est sur les dents pour tenter d'endiguer la violence pendant les manifestations des bruns ou des rouges. J'aurais aimé que l'auteur, qui est historien, nous restitue cet arrière plan beaucoup plus fortement. Les policiers Rath et ses collègues ne prennent aucune position, enfin, pas clairement. On sait à peine, on devine plutôt ce qu'ils pensent sans vraiment que ce soit net. On ne peut que supposer, aisément certes, que Gereon Rath n'est pas nazi, dans ce qu'il fait comme allusions, dans le jazz qu'il écoute (musique interdite par les nazis) et dans le fait qu'il roule dans une Buick (voiture états-unienne), ce qui à l'époque, n'est pas forcément bien vu des futurs gouvernants de l'Allemagne. C'est un peu comme si les policiers vivaient hors les événements qui commençaient à secouer le pays. Mais peut-être à l'époque ces événements étaient-ils ressentis comme ayant peu d'importance, on est encore à trois ans de l'arrivée au pouvoir d'Hitler ? Par contre, une autre partie de ce que j'appelle le contexte est bien restituée : le passage du cinéma muet au cinéma parlant ! Les tenants de l'un s'opposent à ceux qui défendent l'autre. Les défenseurs du muet pensent que leur cinéma est le seul qui soit artistique et que le parlant signe la mort du cinéma. Les autres pensent a contrario que le parlant est l'avenir. Avenir qui leur donnera raison, mais en 1930, rien n'est encore sûr, ce que rend bien Volker Kutscher.

    Venons-en maintenant aux autres bons points : l'enquête est prenante, les personnages suffisamment complexes pour qu'on ait envie d'en savoir un peu plus sur eux. Gereon Rath en particulier, qui oscille entre la règle et des méthodes moins scrupuleuses. Il n'hésite pas à demander des services à Johann Marlow, le chef de la pègre berlinoise, qui les lui rend bien volontiers, ne lui demandant encore rien en retour, pour le moment ; une sorte de contrat secret les lie l'un et l'autre. Rath n'hésite pas non plus à frayer avec la presse, à faire des enquêtes "off" pour le compte de personnes influentes. Tout ce qui est bon pour influencer sa carrière, il le prend. Parce qu'il ne pense qu'à cela Gereon. A sa carrière. A son avancement. Sauf lorsque Charlotte réapparaît dans sa vie : là, ses pensées se divisent. C'est ce qui le rend humain, cette ambition, cette envie qu'on parle de lui. Il n'est pas un pauvre flic, désabusé qui ne pense plus qu'à arrêter les "méchants". Ce qu'il veut lui, c'est bien sûr arrêter les meurtriers et que ça se sache. Il veut donc travailler sur des affaires dont on parle et qui peuvent lui rapporter.

    Troisième aventure de Gereon Rath : Goldstein, à paraître. Je prends !

    Gros mercis à la librairie Dialogue, pour m'avoir permis cette avant-première