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Fourmies la Rouge

Alex W. Inker

Sarbacane

  • Conseillé par (Libraire)
    19 mai 2021

    Magnifique hommage

    C’est une petite ville de 12 000 habitants dans les Hauts de France. Sertie dans le bocage de la « Petite Suisse du Nord », au Sud du Nord, elle ne fait guère parler d’elle. Aujourd’hui, si vous vous promenez dans ses rues, vous n’avez pas l’impression de circuler dans une cité ouvrière de la région, celle des mines et des corons, des usines sidérurgiques. Pourtant quelques bâtiments avec des toits pointus vous rappellent que Fourmies fut un centre de fabriques textiles au 19ème. Ces rues, l’auteur les a parcourues tout au long de sa jeunesse: « Deux fois par jour, quand j’allais à l’école, puis au collège, puis au lycée, je traversais la place où la fusillade a eu lieu. Jusqu’à la fermeture des usines, la quasi totalité de ma famille était composée d’ouvriers d’usine et d’ouvriers en filature (…). C’est de là que je viens ».

    Cette place c’est celle où se déroula le 1er mai 1891 une manifestation des ouvriers grévistes du textile qui réclamaient la journée de travail de 8 heures. En fin de journée, un officier de deux régiments d’infanterie cantonnés à proximité ordonne de tirer sur les grévistes. 9 personnes sont tuées et seront élevées au rang de martyr. C’est cette journée que l’auteur raconte.

    Inker nous a habitué à l’utilisation de la bichromie: noir et blanc pour « Panama Al Brown » , vert et rouge pour « Servir le Peuple », ou encore bleu et orange pour « Un travail comme un autre ». Il ne pouvait ici faire autrement compte tenu du récit d’utiliser le noir et le rouge, rouge du drapeau français, rouge comme les briques et les murs des usines, rouge comme le sang qui va s’écouler lentement sur les pavés de la place. Le trait est cette fois-ci plus lâche, plus libre comme pour s’adapter aux mouvements d’un peuple en action, comme pour lui donner plus de liberté, celle qu’il réclame en levant le poing. L’utilisation du patois populaire accroit ce réalisme.
    Le lecteur vit cette journée au plus près au son des cloches de l’église qui égrènent les heures fatidiques. On découvre des tenues et des visages de soldats proches illustrant « Le cri du peuple » de Vautrin. On défile avec les manifestants, on sent le suint, on rencontre d’inénarrables et odieux bourgeois, mais on s’allonge aussi dans l’herbe pour regarder la beauté du ciel au milieu des coquelicots à la manière du Dormeur du Val. La journée est belle et commence doucement: séduction, couleurs printanières, manifestation traditionnelle, harangue politique, on est dans l’habituel et rien ne présage d’un soir funeste. Maria, la jolie rousse nous entraine derrière elle à la distribution de « papiers », aux retrouvailles avec son amie jusqu’à la cueillette de son Mai. Son Mai, c’est de l'églantine. « C’est tellement beau » lui dit-on. « Mais c’est fragile » répond-elle, fragile comme un jour de printemps qui restera dans l’Histoire, non pour son soleil mais pour le noir de la fumée des cheminées qui continuèrent à cracher ce jour leur souffle. A la demande des patrons. Contre l’avis de la majorité des ouvriers.

    Les pages silencieuses apportent des mouvements de poésie dans une tension croissante dont on connait la fin. Pas de suspense, on sait le sort réservé à 9 des manifestants et la BD s’achève brutalement comme un tir de fusil Lebel. « Feu » est le dernier, les pages finales sentent la poudre et la fureur. Sans bruit, sans bulle. Mais avec une tristesse infinie. Par ce récit humaniste Inker confond Histoire et histoire. Il rend au prénom de Maria son nom : Blondeau. Il rend un bel hommage à sa ville et aux personnes qui l’ont constitué parfois en versant leur sang.

    Eric