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Conseils de lecture

9,40
Conseillé par (Libraire)
22 mai 2020

Trio féminin inoubliable

Alors que sort le troisième roman de Anna Hope, il est encore temps de découvrir son premier ouvrage édité désormais en poche dans lequel l'écrivaine, à travers trois magnifiques portraits de femmes londoniennes, dévoile les souffrances intimes générées par la première guerre mondiale.

Cela commence par un sifflement. Un long sifflement. Et puis le sol se met à trembler, à vrombir. L’obus vient de fracasser le sol projetant des milliers de tonnes de terre aux alentours. Cette terre ensevelit complètement les morceaux d’hommes déjà morts. Mais elle enfouit également l’amour de femmes qui vivent au delà de la Manche, ignorant encore que leur vie vient de basculer en une seconde, la seconde où l’obus allemand vient de creuser un immense cratère dans cette plaine du Nord entre Albert et Ypres. Femmes de Tommies bientôt solidaires des femmes de Poilus, mais femmes tout simplement d’hommes broyés par la « Der des Der » et son incommensurable bêtise.

Deux ans après la fin du conflit, Anna Hope s’attarde sur l’existence bouleversée de trois de ces femmes qui cherchent à continuer à vivre après la disparition d’un de leurs amours sur une terre dont l’éloignement ajoute à la douleur. Il y'a Evelyn, qui a perdu son fiancé après avoir perdu son enfant en travaillant dans une usine de munitions pendant sa grossesse. Elle officie désormais dans un bureau des pensions où elle reçoit des centaines d’éclopés revenus de l’enfer qui se murent dans un silence de folie ou dissimulent leurs corps meurtris. Ada est la plus âgée. Elle ne reverra plus son fils Michael disparu dans des circonstances dont elle ignore tout. Elle l’aperçoit partout « son » Michael, à chaque coin de rue, dans chaque reflet de miroirs déformants jusqu’à perdre l’image de son mari qu’elle ne voit plus assis en face d’elle. Et enfin il y’a Hettie dont le frère est revenu atteint d’un mal qui le transforme en silhouette vivante mais muette. Elle danse le soir pour six pence par chanson au Hammersmith Palais, lieu de plaisir créé pour soulever la chape de plomb de quatre années de souffrances et de barbarie. Serrant contre elle les corps des hommes elle devine leurs souffrances ou leurs angoisses au rythme des pas de danse de jambes de bois.

Par touches discrètes, dans un style étonnant de maitrise pour un premier roman, Anna Hope, décrit trois portraits de femmes magnifiques qui vivent dans une société figée par le premier conflit mondial. L’Angleterre comme le reste de l’Europe marque une pause, épuisée, à la quête d’un retour à la vie. La nation essoufflée par tant d’efforts, récupère des êtres hagards et perdus qu’elle cherche à oublier. La description des quartiers londoniens et de la vie quotidienne de la capitale sert de toile de fond à ces femmes qui veulent se libérer de leurs souvenirs et de leurs amours. Ce sont bien des spectres que chacune d’entre elles recherche, des spectres ou des fantômes car leur souffrance, outre la perte de l’homme aimé, se nourrit de l’absence de corps, d’explications, de circonstances. Il faudra que la parole se délie par un témoin qui pourra raconter l’inimaginable ou par une diseuse de bonne aventure, véritable psychiatre populaire pour pouvoir se délester d’un poids insupportable.
La condition féminine, soigneusement documentée, est décrite comme annonciatrice de profondes mutations à venir. Mais le roman en miroir révèle aussi magnifiquement l’état de ces hommes revenus des champs de l’enfer, de leur dérive. Ils demeurent muets, peinent à exprimer leurs désirs, peinent à vivre simplement. Ils sont uniquement « survivants ». Et la rencontre avec ces femmes qui n’ont pas vu l’horreur, mais la devinent, est compliqué. Il est difficile de danser ensemble quand un bras estropié ou une jambe manquante empêchent le corps d’exprimer ses désirs. Il reste alors l’envie muette mais offerte, celle d’un corps nu de femme, celle de Evelyn, protégée par la vitre de sa chambre devant la fenêtre d’un homme assis dans un fauteuil roulant. Avec un réel talent d’écriture, l’auteure exprime par une narration fluide et prenante, des sentiments troubles de la double culpabilité: celle d’être vivante et celle d’avoir la tentation d’aimer et de désirer de nouveau.

Le destin des trois femmes va se croiser dans les dernières pages pour s’ouvrir vers une nouvelle Histoire, celle des « années folles », véritable antidote à ces années de souffrance. Le 11 novembre 1920 marque la fin du roman mais il est aussi le début d’une nouvelle époque pour Ada, Hettie et Evelyne. Et des millions d’autres femmes. Et des millions d’autres hommes.

Eric


14,50
Conseillé par (Libraire)
21 mai 2020

Inclassable, et d'actualité...

Nastassja Martin est une jeune anthropologue française, élève de Philippe Descola spécialiste de la nature. Elle étudie les peuples nomades, animistes du Kamtchaka en Russie, et pour cela elle vit avec eux et partage leur mode de vie totalement en phase avec leur environnement.
En 2015, elle part seule dans les montagnes et rencontre un ours, une rencontre qui aurait pu lui être fatale.
Dans ce récit de vie, cette femme exceptionnelle, relate son cheminement et son retour à la vie. Étrange et passionnant quand elle parle de ses opérations en Russie et en France (on sent chez elle un amour profond pour la Russie), par ses réflexions sur le sens à donner à cette "rencontre". Une réflexion très originale, fortement inspirée de l'animisme pour qui "on partage une âme en commun avec tous les êtres non-humains" qui nous entourent. Ce récit prend encore plus de force aujourd'hui, pendant cette épidémie du coronavirus qui bouleverse nos vies. Comment penser notre rapport aux autres, végétaux, animaux, au vivant, avec un peu plus d'humilité...?
Un livre intense, inattendu, et joyeux !

Vanessa


14,95
Conseillé par (Libraire)
21 mai 2020

Passionnant !

La BD historique "Le Banquier du Reich" raconte l'histoire de Hjalmar Schacht, un personnage me semble-t-il méconnu, pas sympathique du tout mais très intéressant. Grand économiste allemand, il est devenu le ministre des Finances de Hitler.
Le duo de scénaristes, Pierre Boisserie et Philippe Guillaume, connaît bien le thème de la finance, rendu très accessible, ils ont déjà réalisé une histoire de La Banque chez Dargaud.
Le dessin de Cyrille Ternon est très réaliste, soigné, à l'image de cette magnifique couverture.
On découvre un personnage aussi brillant qu'ambigu et énigmatique, c'est passionnant ! Vivement la sortie du tome 2.

Vanessa


roman

Le Livre de poche

7,90
Conseillé par (Libraire)
13 mai 2020

L'amitié à l'épreuve du temps

Sandor Marai, auteur hongrois du XXème siècle, a longtemps été interdit de publication dans son pays. Auteur prolifique, aussi talentueux que son contemporain Stefan Zweig, il a malheureusement été traduit très tard en France.
Dans ce superbe roman, Sandor Marai confronte deux amis d'enfance qu'une vie entière a séparé. Au soir de leur vie, ces deux hommes tentent de réparer ce qui a été perdu pendant si longtemps en espérant que les souvenirs communs permettront peut-être le pardon.
Un immense roman inoubliable !

Mila


9,90
Conseillé par (Libraire)
12 mai 2020

Décoiffant !

« La vie est plus difficile quand on a la peau noire plutôt que la peau blanche ». Cette affirmation banalisée mais terrible Chimamanda Ngozi ADICHIE lui donne toute sa signification « Americanah » Elle démontre comment la couleur de peau conditionne nos comportements aux États Unis. Et ailleurs. Magistral.

Et si tout avait commencé par des cheveux crépus ? Et si tout s'expliquait dans ces salons de nattage ? Ces salons où les femmes noires se font lisser, défriser leur coiffure pour ressembler aux femmes blanches.
C'est dans un de ces salons que débute le roman comme si le destin du personnage principal, Ifemelu, jeune nigériane partie étudier aux États Unis, était d'assumer progressivement sa chevelure désordonnée : « Les cheveux comme métaphore de la race » écrit elle. Race, ce mot laid, claquant comme une insulte est pourtant bien présent tout au long du livre, véritable fil rouge. Mot détestable mais juste. Choquant mais nécessaire. Comme un éclair dans nos consciences. Et, répété inlassablement, il dérange ce mot que la jeune Ifemelu utilise dans le blog qu'elle crée sur « les noirs américains par une Noire non américaine ».
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En débarquant de Lagos à Philadelphie, Ifemelu prend conscience pour la première fois de sa couleur de peau : « A mes camarades noirs non américains : en Amérique tu es noir chéri » » s'adresse t' elle sur le net. S'exilant, elle a quitté son amour de jeunesse, le magnifique Obinze, attiré lui aussi par l'Amérique des livres mais qui partira clandestinement à Londres d'où il sera expulsé menottes aux poignets vers son pays d'origine. Deux destins parallèles : durant quinze ans elle expérimentera la vie aux États Unis, sa condition d'étrangère à la peau noire et lui celle de l'immigrant clandestin, effrayé au quotidien par d'éventuels contrôles d'identité.

Que l'on ne s'y méprenne pas ce roman n'est pas cependant un manifeste politique. L'auteure a trop de talent pour tomber dans le piège. Cet énorme pavé dense de 520 pages est avant tout un roman qui raconte la construction d'une femme loin de ses racines, d'un homme qui cherche à s'extraire de sa condition. Un véritable roman d'aventures, un roman d'actualité en prise par exemple avec l'élection d'Obama, dont la lecture s’enchaîne avec aisance et envie. Si les pages du blog d'Ifemelu permettent à l'écrivaine de poser les véritables questions politiques sous des formes parfois faussement anodines, « quand vous mettez des sous- vêtements couleur chair ou utilisez des pansements couleur chair, savez vous à l'avance qu'ils ne seront pas assortis à la couleur de votre peau ?», le lecteur est emporté par un véritable torrent de séquences familiales, sociétales, politiques, intimes, aux multiples facettes et aux nombreuses entrées.

Sa vie partagée aujourd'hui entre la côte Est américaine et Lagos, Chimamanda Ngozi ADICHIE peut décrire à loisir, et avec humour, l'évolution d'une société nigériane cherchant sa voie économique et culturelle à travers le récit des soirées mondaines pontifiantes et ridicules, de nigérians coincés entre l'Afrique et les mœurs mal digérées d'une Europe idéalisée. Féroce avec l'inégalité raciale criante des États Unis elle n'est pas tendre non plus avec son pays d'origine maniant l'humour et l'ironie à travers des saynètes mordantes ou des portraits hilarants et percutants.

Ifemelu à travers toutes ces rencontres, suit ainsi son destin personnel marqué par sa couleur de peau, par sa revendication féministe mais aussi par sa relation avec les hommes de sa vie dans une société américaine qui la séduit et la repousse à la fois. Ce roman est donc aussi un superbe roman d'amour au dénouement patiemment attendu.

L'amour comme la coiffure, métaphores d'un livre d'une richesse gigantesque, où chaque lecteur embrassera des vies coincées entre le noir et le blanc, l'Afrique et l'Amérique, une démocratie stable et une démocratie à construire. Entre les cheveux frisés et les cheveux lisses. Un propos multiple et universel pour un grand livre .... en format de poche.

Eric