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Conseils de lecture

6,80
Conseillé par (Libraire)
14 février 2021

Tout doit disparaître

Un homme est seul dans un appartement qui domine la plage d'Ostende. Il est seul, ne sait pas depuis combien de temps, ni pourquoi il est là. Il est immobilisé dans un fauteuil roulant et une aide-soignante qui ne parle pas français vient s'occuper de lui deux fois par jour ; il en déduit qu'il a été victime d'un accident, mais ne se souvient de rien. Sa seule occupation est d'observer le paysage qui se découpe à travers la fenêtre comme si c'était un tableau. Il observe le flux et le reflux de la mer, les promeneurs en anoraks qui marchent sur la plage (on pense à « la mer du Nord en hiver » et aux « adamos bien couverts » de la chanson d'Alain Souchon). Parfois le brouillard envahit tout, effaçant le paysage ; on n'entend plus que la corne de brume, « mélodie déchirante qui a des accents de glas ».
Trame narrative minimaliste donc, comme souvent dans les livres de Jean-Philippe Toussaint. Mais là aussi, comme souvent, un événement imprévisible survient, qui ranime le souvenir, de façon aussi inattendue que fulgurante (au sens propre, c'est à dire sous la forme d'une vive lueur). On ne révélera pas de quoi est fait ce souvenir, pas plus qu'on ne révélera la fin de l'histoire, qui opère une sorte de basculement du point de vue et du sens, dans une affirmation souveraine des pouvoirs de l'écriture (on pense cette fois à certaines nouvelles de Julio Cortàzar). Un indice : dans le titre le mot « Disparition » prend une majuscule...
Ce court texte a été mis en scène par Aurélien Bory, et devrait être créé aux Bouffes du Nord, avec Denis Podalydès. La représentation qui devait avoir lieu en janvier a été repoussée au mois de novembre. On est curieux de voir le résultat.

Jean-Luc


16,00
Conseillé par (Libraire)
12 février 2021

Réconfortant

Besoin d'un peu de douceur en ce moment ? ... Je vous conseille ce roman plein de fantaisie et d'humour, un livre joyeux !
Et pourtant, c'est l'histoire d'un tout petit village en Sardaigne déboussolé par l'arrivée des "envahisseurs". Une poignée de réfugiés noirs et d'humanitaires blancs débarquent dans ce coin paumé, bien loin de l'Europe tant rêvée... Ce sont d'abord les femmes du village, curieuses, qui vont venir leur donner un coup de main. Un joli potager est créé, on se retrouve autour d'un repas, une joyeuse solidarité s'organise. Milena Agus porte un regard incisif sur cette galerie de personnages hauts en couleurs. Une écriture qui pétille. Un livre doux qui fait du bien.

Vanessa


10,00
Conseillé par (Libraire)
8 février 2021

La beauté des larmes

Trois chapitres.
Chapitre 1 : Quelques jours après la mort de sa mère, une jeune femme, Beatrix Filia, revient dans l’appartement de montagne où toutes deux passé d'innombrables vacances, d'hiver et d'été. Le patronyme du personnage, Filia, est transparent : Beatrix est une fille, une fille qui a perdu sa mère, comme elle préfère dire quand on l'interroge. Elle parcourt la montagne, s'épuise, se perd, se réfugie dans les cafés où les vieux racontent des légendes. Elle observe, voit la silhouette de sa mère dans le dessin d'une montagne et des blessures (les siennes) sur le tronc des arbres. Elle prend des notes et des photos pour une œuvre à venir, car Beatrix est plasticienne.
Chapitre 2 : L’œuvre a vu le jour. C'est le soir du vernissage de l'exposition, Beatrix déambule parmi les invités, répond aux questions maladroites d'un journaliste, parcourt les textes du catalogue : « [Les œuvres de Beatrix] portent en elles des récits émouvants qui ne sont jamais imposés » est-il écrit. Les œuvres exposées sont belles : Un miroir incrusté dans une bloc de moraine glaciaire, c'est « Le lac aux larmes ». Une sculpture, en forme de carte en relief figurant les paysages que Beatrix a parcourus, c'est « Le chagrin ». Deux balançoires d'enfant, monumentales et condamnées à l'immobilité, qui n'ont pas de nom mais sont peut-être les plus émouvantes.
Chapitre 3, très court : Beatrix revient une dernière fois vers la montagne. Mais le paysage « ne la console pas ».
Les deux dernières pages sont une variation bouleversante sur les larmes, toutes les larmes que nous pouvons verser, larmes d'enfant, larmes d'adultes, et larmes d'émotion pure que « seule la musique peut provoquer », la musique qui peut-être seule peut consoler.
Trois chapitres, pour dire le deuil d'une mère. A peine soixante pages, d'une gravité jamais pesante, d'une émouvante simplicité, et d'une confondante beauté.

Jean-Luc


La naissance de l'humanité

1

Albin Michel

22,90
Conseillé par (Libraire)
8 février 2021

Indispensable

Pourquoi, un rhinocéros habillé d’un scaphandre n’a t’il pas pu se rendre sur la lune en 1969? Rien ne prédisposait en effet un descendant d’un modeste chimpanzé, animal parmi tant d’autres espèces parfois plus douées, à devenir ce Sapiens si inventif, capable de demeurer, exemple unique, la seule espèce de Homo, après l’extinction de toutes les autres. Pour répondre à cette question il faut faire fonctionner notre petit cerveau, qui se réduit en taille et en volume depuis Neandertal, et revenir aux origines de l’humanité. Yuval Noah Harari dans l’ouvrage « Sapiens. Une brève histoire de l’humanité » paru en 2015 avait posé en perspective la naissance de l’homme et d’une certaine manière l’avait remis à sa juste place, beaucoup plus modeste, que celle communément admise. D’une densité très forte, on achevait l’ouvrage avec un sentiment d’insatisfaction tant on regrettait de ne pouvoir tout emmagasiner dans notre modeste intelligence. Aussi quand a été annoncée l’adaptation Bd, l’espoir est nait d’une révision possible du texte de l’historien israélien et pour ceux qui n’avaient pas eu ce bonheur originel, d’une joie de la découverte d’un texte majeur.

Une image s’impose depuis notre enfance: celle de l’évolution d’un chimpanzé, de profil, qui se redresse progressivement en avançant pour devenir un Homme sur deux jambes. Une progression linéaire, un progrès de l’état « sauvage » à celui de civilisé. Une erreur manifeste, un mensonge. Un autre dessin suffit à montrer la vérité: de face co-existent différentes espèces humaines qui s’ignorent ou se mélangent, jusqu’à ce que Sapiens soit le seul survivant et que cette fameuse « révolution cognitive » , ces « mutations génétiques accidentelles qui ont modifié le câblage interne de notre cerveau » permettent à Sapiens de « penser d’une manière inédite ». Homo va alors se distinguer des autres animaux et, en un temps record, se porter au sommet, seul, de l’écosystème. Capacité à s’organiser et à mutualiser, invention de mythes et d’histoires, création de religions, importance du pouvoir du feu, la BD avec une fluidité exceptionnelle raconte ce processus de domination rapide d’Homo sur son environnement.

Expliquer simplement des processus complexes sans tomber dans la vulgarisation excessive ou la bouillie scientifique simplificatrice avait été le challenge réussi de Harari. Challenge prolongé de manière éclatante avec la BD qui sans presque rien abandonner du récit initial le complète, le modifie (le Big Bang date de 14 milliards d’années dans l’essai et de 13,5 milliards d’années dans la BD !) mais surtout en facilite la lecture en apportant un plaisir supplémentaire: l’humour.

De nombreuses trouvailles graphiques, comme la référence à des tableaux notables de l’histoire de l’art, ou dans la manière de conduire le récit avec des rencontres gentiment folles dingues de spécialistes inventés, dignes parfois du capitaine Haddock ou de la Castafiore, rendent cet apprentissage de la connaissance, jouissif et ludique. Clins d’oeil aux Comics, au cinéma, jalonnent la lecture.
Intelligemment la Bd pose les questions existentielles, remettant en cause des théories comme le créationisme, et nous interroge sur les mondes fictifs que nous nous sommes créés pour justifier nos existences. Du chimpanzé au fourrageur puis au chasseur cueilleur l’Homme s’est redressé mais va perdre peu à peu son savoir faire en devenant un sédentaire agriculteur. Le deuxième tome se profile.

Il a fallu onze mois pour réaliser ce premier épisode. Trois autres sont attendus pour un total de 1000 pages. Autant dire qu’il va falloir patienter une éternité à l’échelle de nos vies. Mais à l’échelle de l’humanité …..

Eric


18,90
Conseillé par (Libraire)
8 février 2021

" Un EHPAD, des fesses, de l'amour et des rides"

« Un EHPAD, des fesses, de l’amour et des rides » résume magnifiquement la quatrième de couverture. Une BD subtile, douce, tendre, violente sur un sujet majeur de société.

Et si cela ressemblait à une chute, la vieillesse? Une longue et inexorable chute. Un plongeon qui vous mène tout au fond, là où la lumière s’éteint. Là où les corps mollissent, s’affaissent. Là ou les prénoms s’échappent et s’enfuient dans le noir. L’obscurité encore et toujours. Cette chute, Yvonne qui a quatre vingts ans, la rêve, surtout depuis la mort de Henri, son mari, son homme, son amant. Alors passer du banc au salon, du salon au banc, ne la passionne plus, elle tombe dans ses souvenirs, son passé, son bonheur. Il faut prendre une décision, vendre sa maison et aller ailleurs, aller là où les grilles vous protègent, là dans cet immeuble qui porte un joli nom, « Les Mimosas ». Aller en EHPAD.

Cet univers clos régi par des règles strictes où se côtoient l’octogénaire encore plein de vie et la personne délirante, Séverine Vidal, le connait bien notamment grâce aux ateliers d’écriture qu’elle anime dans ces établissements. On va donc suivre Yvonne dans ces couloirs nouveaux, cette chambre « couleur mort, on dirait qu’ils le font exprès », ce réfectoire lieu des rencontres et où les mots des autres vous infantilisent. Ce n’est pourtant pas un « reportage en immersion » car les deux auteurs apportent par leur talent autre chose que la description des faits: une haute dose d’humanité. La main sur un genou, un frôlement d’épaule, un sourire, éclairent des cases magnifiques dans des pages muettes emplies de tendresse, qui donnent le rythme à la lecture, et laissent le temps de la réflexion et de l’émotion. Victor L Pinel par ses cadrages, sa capacité à dessiner des corps pleins « de beaux volumes » mais « où y’a tout à refaire », nous invite à imaginer notre propre vieillesse, à voir de plus près celle de nos proches, de nos parents. Victor L Pinel incarne magnifiquement cette bonté par un trait simple mais profondément juste et humain, comme quand deux filets de larmes coulent lentement sur le bord des lèvres. Sans montrer les yeux.

L’univers de l’Ehpad est régi comme une école maternelle, il est possible pourtant parfois de le contourner sous le regard bienveillant de Youssef, membre du personnel qui ferme les yeux, en les gardant ouverts, sur une nuit passée dans une autre chambre que la sienne, sur une escapade où l’on se déshabille de sa vieillesse. Par petites touches le quotidien est décrit à la perfection: visite attendue du petit fils, visites amicales ou familiales comptées, minutées, espérées, déçues, commentées, activité collectives, de celles que rejettent Jean Louis Trintignant dans son EHPAD de luxe dans le film de Lelouch « Un Homme et une Femme: vingt ans après », et les souvenirs sans cesse revenus à la surface que ravivent des albums photos, la douceur d’une caresse. les frites au goûter des petits enfants.

Même si le registre n’est pas celui des « Vieux Fourneaux », l’humour est présent. Il évite le pathos et tend devant nos yeux un voile de tendresse, car à sa manière Yvonne va se révolter, partir en guerre et lutter contre la mort qui vient. Elle va plonger mais dans une eau claire où elle ne sera pas seule. Elle nous éclabousse au passage, projetant quelques gouttes sur notre visage. Sous nos sourcils. Sous nos paupières. Sous nos yeux.

Eric