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Isabelle S.

Conseillé par (Libraire)
16 août 2011

« Aime-moi beaucoup, mon amour »

« Aura est morte le 25 juillet 2007 ». Ainsi commence le livre de Francisco Goldman. Ils avaient vingt-deux ans de différence et celle qui ne voulait pas devenir « une veuve esseulée » meurt avant lui, l’homme qui, quand elle lui a souri la première fois, ne pouvait croire à sa chance.

Après l’accident, viennent le chagrin, la culpabilité, la confusion, la panique. Dire son nom est peut-être une tentative d’arrêter un terrible processus d’autodestruction, un moyen d’affronter la vie sans elle. Car Francisco a plus que tout peur de l’oubli, peur de la perdre. Ce qu’il veut, c’est la garder en lui, pleine de vie.
Alors il commence à écrire, entrelaçant dans le désordre d’une mémoire bouleversée l’enfance d’Aura, leur vie commune, et les jours d’errance dans un monde où elle n’est plus là.

Aura marchait en sautillant dans la rue « comme une joueuse de marelle aux pieds ailés » ; Après quelques verres d’alcool, Aura déclamait de la poésie, presque toujours les mêmes deux poèmes, « comme un juke-box qu’on a programmé pour jouer toujours les mêmes deux chansons » ; « Aura parlait l’anglais […] comme un écureuil enroué de dessin animé avec l’accent de Brooklyn » ; Aura lisait, écrivait et fumait sur le palier de l’escalier de secours, où elle cultivait des plantes en pot, « son jardin ».

Ce livre sur la perte pourrait être désespérant. Il est lumineux. La vie si brève d’Aura rayonne au fil des pages, la profondeur des ses relations familiales compliquées, les journaux intimes, les nouvelles inachevées d’une jeune femme dont le rêve était de devenir écrivain.

Aura, son rire, sa voix, sa spontanéité, sa drôlerie, sa fragilité, revit avec une telle intensité que nous avons le sentiment d’avoir nous aussi perdu quelqu’un d’exceptionnel, une amie, un être qui nous manque et que nous n’oublierons jamais.

Qiéreme mucho, mi amor, « Aime-moi beaucoup, mon amour », tels sont les derniers mots d’Aura, murmurés à son mari. Ce livre magnifique est la preuve, s’il en était besoin, qu’elle a été entendue.

roman

Phébus

19,25
Conseillé par (Libraire)
16 août 2011

Une bouleversante histoire d'amour

Molly Allgood vit à Londres dans le dénuement, seule, minée par l’alcool. Un jour de décembre 1952, elle sort pour une longue promenade. Sur le chemin, un flot de souvenirs l’envahit ; précis, colorés, brillants, ils la transportent dans le Dublin du début du siècle, quand, jeune actrice du Théâtre de l’Abbaye, elle tombe éperdument amoureuse du grand dramaturge irlandais, John Millington Synge. Tout les sépare, il est protestant, elle est catholique, il vient de la gentry, elle est née dans les quartiers populaires de la ville, il est directeur de théâtre, elle n’est qu’une petite figurante, il a 35 ans, elle n’en a pas 20.
Ils vivront pourtant leur histoire d’amour, tendre et furieuse à la fois, dans la clandestinité. Synge, déjà malade, n’aura pas le courage de défier les conventions de son époque et la désapprobation de ses amis et de sa famille en épousant Molly. Elle n’a bien sûr aucun pouvoir sur le cours des choses, essaie de comprendre cet homme sombre, sa difficulté à vivre, et même si elle lui en veut parfois de la traiter aussi mal, elle lui trouve des excuses et accepte.
Plus de quarante ans après la mort de celui qu’elle appelait « mon vieux vagabond », le vide qui s’est creusé en elle demeure. Dans un long monologue à la deuxième personne de singulier, elle déroule les tours et détours de sa mémoire, sans souci de la chronologie, avec impertinence et drôlerie. Une évocation des quartiers pauvres de Dublin, du Théâtre de l’Abbaye au moment de la création du Baladin du monde occidental et des émeutes que la pièce provoqua, de la courte vie de John Millington Synge, emporté à l’âge de 37 ans par la maladie de Hodgkin.
Le roman de Joseph O’Connor est à la fois la chronique d’un monde disparu, une bouleversante histoire d’amour, et le portrait d’une femme attachante, pour toujours l’incarnation de la merveilleuse Peegeen du Baladin.

Conseillé par (Libraire)
16 août 2011

Evénement !

La publication d’un nouveau livre de David Grossman est un événement.
Celui-ci est de tous le plus intimement lié à la vie de l’écrivain et à l’histoire de son pays. Il y travaillait encore quand son fils Uri mourut pendant la deuxième guerre du Liban. A la question qu’il posait à son ami Amos Oz, « Pourrai-je maintenant sauver ce livre ? », celui-ci répondit « C’est ce livre qui te sauvera ».

Dans ce roman, il raconte la fuite d’une femme dont le fils, Ofer, après avoir terminé son service militaire, décide de se porter volontaire pour une opération militaire dangereuse. Envahie d’une terrible prémonition, Ora fuit parce qu’elle ne veut pas être chez elle quand on viendra frapper à sa porte pour lui annoncer sa mort. Elle pense ainsi le protéger. Elle part pour une randonnée qui durera autant que l’absence d’Ofer.

Dans ce long voyage à pied jusqu’au nord d’Israël, elle n’est pas seule. Avram, son amour de jeunesse et probablement le seul amour de sa vie, l’accompagne. Ils ne se sont pas vus depuis longtemps et, loin de toute source d’information, dans la nature sauvage de la Galilée, où les craintes, les angoisses, le soupçon, s’atténuent, ils vont se retrouver peu à peu. Ora dit à cet étrange compagnon la vie de celui qui est leur enfant et qu’il n’a jamais voulu connaître. Avram, brisé par la guerre et la torture subie plus de vingt ans auparavant, ouvre son cœur et accepte d’écouter.

Quarante ans de l’histoire d’Israël dans les yeux d’un étrange triangle amoureux, d’une famille éclatée, d’une femme émouvante, à fleur de peau, dont toute l’énergie est concentrée dans l’effort de maintenir des liens qui échapperaient à la brutalité et au chaos. Et comme une promesse, Ora parvient à apprivoiser une jeune chienne sauvage rencontrée sur le chemin.

20,00
Conseillé par (Libraire)
15 septembre 2010

Un joli bazar poétique

Dans l’avalanche de la rentrée littéraire, il est un livre qui ne ressemble à aucun autre. On y trouve un drôle d’assemblages de notes d’une réjouissante subjectivité, sur un peu tout et presque rien, de « à boire et à manger » à « zigzags ». Fine mouche du bric et du broc, Fabienne Yvert donne en partage un peu de son intimité (la nôtre ?) sans exhibitionnisme ni mièvrerie et nous fait du bien.

Petit inventaire : le tricot mangé par les mites avant d’être fini, les nouvelles fraîches du jour où il fait déjà nuit, les souvenirs, les bizarreries du monde comme il va (ou ne va pas, justement), les gens qu’on aime et ceux auxquels on ne peut échapper. Un petit zoo : souris, chauve-souris, mulots et autres insectes et mammifères, sans oublier le pigeon ridicule. Une aubergine et un concombre inattendus. Des recettes de cuisine et un cours de dépuceronage. Une maison un peu cassée. Bref, la vie, dans un joyeux feu d’artifice typographique.

Extraits pour vous donner l’envie d’aller voir ce joli bazar poétique de plus près :

« Pierre est allongé sur le canapé & il s’applique à n’avoir aucune activité.
J’ai l’impression qu’il est débranché : plus de prise avec le monde dans lequel on vit, occidental, 2001. »

« Garés près d’une Clio avec une bonne sœur qui attend et lit un fascicule avec imprimé en gros :
LES ONDES DU PLAISIR
De Dietrich
C’est au sujet de mode de cuisson rapide. »

« Je déteste commencer la journée en essuyant les miettes de la veille. »

« Côtoyer les vaches m’apaise. »

« Fin & faillite d’une histoire d’amour avec vente aux enchères de la maison : avec la 1/2 somme récupérée, elle offre à son nouvel amour de poète un magnifique stylo-plume, outil de l’avenir. »

Conseillé par (Libraire)
24 août 2010

« L'amour est sans solution. »

« Il se sent tout à coup rajeuni.
Pendant deux ans, enfermé dans le cercle de son chagrin, il s’est méthodiquement appliqué à vieillir. Il a vécu suspendu à un fil invisible, sans relever la tête, sans se soucier de personne, occupé à ses petites affaires et à ses tracas, en renonçant à tout le reste comme s’il cherchait à s’éteindre.
Il était d’ailleurs presque éteint quand elle a appelé. »

A Paris, Blériot, un homme amoureux d’une femme qui arrive au rendez-vous avec deux ans de retard, à cinq heures précises. De lui, on dira qu’ « il a l’habitude de penser lentement, si lentement qu’il est en général le dernier à comprendre ce qui se passe dans sa propre vie ».
Mais il vaudrait mieux qu’il réfléchisse tout de même vite car il est marié, et que l’adultère est une chose compliquée, qui demande de l’habileté et du calcul.

A Londres, Murphy, un autre homme amoureux de la même femme, qui vient de le quitter. Plongé par ce départ dans un état proche de la sidération, il ne parvient pas à y croire et, déterminé, entreprend des recherches pour essayer de comprendre pourquoi elle s’est envolée en ne laissant en tout et pour tout qu’une chaussure oubliée au fond d’un placard, un foulard mauve, trois livres et quelques magazines de mode.

De l’un à l’autre, Nora traverse la Manche comme on traverse un boulevard, une petite Anglaise étrange, imprévisible — on l’imagine avec les traits de Jean Seberg —, qui rêve de devenir comédienne et, en attendant le grand rôle, joue à faire souffrir ses deux amoureux. Sans doute ne le fait-elle pas exprès. Elle est juste « comme ça ». Elle a besoin de se sentir libre, et si elle part, c’est pour avoir le plaisir de revenir.

Patrick Lapeyre nous raconte avec virtuosité cette histoire d’amour où tout ira mal pour tout le monde car Nora, telle une drogue forte, intoxique ceux qui passent près d’elle. Nora est inoubliable et vivre sans elle est impossible.

Cette grande histoire d’amour complètement ratée aurait pu être d’une banalité à pleurer. Mais Patrick Lapeyre a du talent, et il parvient à un équilibre si parfait entre ironie et mélancolie qu’en refermant le livre on se rend compte qu’on n’a pas cessé de sourire aux tristes mésaventures de ses anti-héros magnifiques. Il n’y a là aucune recette, simplement de la générosité.