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La Grande Ourse *.

Manufacture de livres

18,90
Conseillé par (Libraire)
29 mars 2020

Un récit magnifiquement humain

Avec ce premier polar, Benoît Séverac s’installe de suite dans les belles découvertes du genre de ce début d’année. Entre relations père-fils impossibles, portraits de personnages attachants et intrigue passionnante, l’auteur nous emmène dans un récit magnifiquement humain. Remarquable.

Le titre de ce roman est « Tuer le fils ». Mais il pourrait s’appeler « Tuer le père » . Et réciproquement. Ou inversement. Mais « Tuer le père » est déjà le titre d’un roman d’Amélie Nothomb. Ainsi réside l’un des intérêts majeurs de ce remarquable polar qui nous plonge dans de multiples mises en abîme: réalité d’un meurtre et fiction d’un texte écrit préalablement, un père et un fils photocopies de souffrances mais recto verso de vies diamétralement opposées. Benoit Severac creuse ce sillon et pose la question ultime « Tuer au nom de la littérature est ce possible? ».
Il ne faut pourtant pas croire que ce roman relève de la plus pure construction intellectuelle et s’élève dans les hauteurs d’une philosophie à quatre sous. C’est avant tout un polar, un bon, un remarquable polar. De ce type de littérature, il possède tous les codes. On a donc un assassin, que l’on découvre dès la première page. Un flic, ou plutôt un trio de flics, même si l’on suit surtout les pas du chef, Cérisol, la cinquantaine approchant, amoureux de son épouse Sylvia, devenue aveugle, et adorateur de confitures diverses et variées. Le roman navigue dans l’air du temps pointant avec justesse le malaise des officiers de police dans une institution en difficulté ou mettant le doigt sur les mouvements d’extrême droite malodorants représentés par des bikers au cerveau aussi limité que le vrombissement de leur Harley.

Alors si on le distingue du reste de la littérature de genre, c’est que Benoît Séverac dont c’est le premier roman, et qui s’est inspiré de son expérience d’intervenant de professeur d’Anglais en milieu carcéral, sait donner une épaisseur humaine à ses personnages, ni « héros », ni paumés en mal de vivre. On se prend de compassion, de sympathie pour ces hommes en lutte entre leur métier, dont chacun attend des réponses différentes, et les difficultés de la vie quotidienne. Trois générations de flics comme trois modes de vie. Trois rapports à la paternité aussi. Cérisol ne sera jamais père par la volonté de son épouse. Grospierres, dernier arrivé dans la brigade, et tout jeune papa, se voit confronter au judaïsme militant de sa femme. Quant au troisième larron, Nicodemo, émigré portugais, proche de la retraite, une dépression le guette et l’interroge sur un bilan de vie familiale et un fils brillant qui veut arrêter sa prévisible ascension professionnelle.

L’auteur profite d’une intrigue bien menée, construite autour d’aller-retours entre un cahier d’écritures et la vie quotidienne, pour raconter la déliquescence d’une relation père-fils délétère. L’ignoble côtoie la douceur, la haine poursuit l’amour. Tous les personnages sont en quête de tendresse et leur itinéraire personnel nous les rend terriblement attachants, comme celui de Sylvia, devenue aveugle à la trentaine et dont nous percevons toute la volonté de vivre avec une justesse remarquable. Ces femmes et hommes, on aimerait les rencontrer dans notre vie, en faire peut être des amis. Ils forment la mosaïque d’une société contemporaine, qui sait aussi trouver de bons moments lors de repas quotidiens pris à la brasserie du coin ou de jolis baisers dans le cou (voire plus) après une journée harassante d’enquête.

A la fin de cette lecture dévorante, on constate une fois de plus qu’il est dommage de catégoriser la littérature. « Tuer le fils », si il utilise les codes du polar est avant tout un livre. Un formidable beau livre.

Eric

22,90
Conseillé par (Libraire)
27 mars 2020

Cinq frères

Markus Zusak nous raconte l'histoire de la famille Dunbar . Au décès de la mère , le père s'en va laissant seuls ses cinq fils âgés de 13 à 20 ans . C'est Matthew , l'aîné, qui est le narrateur .
Alors qu'ils vivent de façon complètement décousue , sans règles , entourés d'une multitude d'animaux , le père qu'ils surnomment l'assassin , se présente non pour leur venir en aide mais pour demander à ses fils de l'aider dans la construction d'un pont !
Clay , celui du milieu , âgé de 16 ans décide de le suivre .Des liens se tissent .
Il s'agit d'un récit bouleversant composé de chapitres courts où les différentes époques s'entremêlent . Avec humour, poésie , des thèmes forts comme la tendresse , le chagrin , le deuil , l'abandon, la rancoeur , la violence sont abordés .
Mark Zusak , né en 1975 est australien et professeur d'anglais à Sydney.
J'ai découvert cet auteur grâce à " La voleuse de livres " paru en en 2005 et dont un film a été tiré en 2013.
A propos du " Pont d'argile " paru en 2019 , Mark Zusak déclare : " Ce livre est composé d'à peu près tout en moi - ce livre est tout ce que j'ai "
Marie.

Le Livre de poche

7,90
Conseillé par (Libraire)
27 mars 2020

Livre culte !

A la mort de son père , Iza sa fille unique , médecin réputée , décide de s'occuper de sa mère . Elle organise tout , l'extirpe de son village où elle avait ses habitudes pour l'emmener chez elle à Budapest .
La vieille dame se retrouve complètement désorientée et totalement soumise aux décisions de sa fille qu'elle craint de chagriner en refusant tout ce qu'elle fait pour elle .
Il y a beaucoup d'amour entre ces deux femmes mais une absence de dialogue . Heureusement , l'ex conjoint d'Iza , resté très proche de ses beaux-parents va intervenir.
Ce roman paru en 2005 est émouvant , sensible . il évoque les relations familiales , le deuil , l'importance de savoir communiquer , de se sentir utile , de trouver des raisons de vivre. Il ne peut que nous interpeller face à notre propre histoire .
Magda Szabo , (1917-2007 ) est une des écrivaines hongroises les plus traduites dans le monde ; elle était également poétesse, dramaturge , essayiste , docteure en philologie et traductrice hongroise. Elle a été résistante au régime communiste de son pays .
son roman " La porte " écrit en 1987 , prix Femina étranger en 2003 , me l'a fait découvrir.

Marie.

Conseillé par (Libraire)
26 mars 2020

"Miroir de nos peines" et de nos joies

Avec « Miroir de nos peines » Pierre Lemaitre achève sa trilogie de l’entre deux guerres. Un roman foisonnant sur les routes de l’exode. Un bonheur exceptionnel de lecture.

L’eau coule de manière limpide des montagnes. L’écriture de Pierre Lemaitre suit le même chemin. Ou c’est tout comme. A sa manière, l’écrivain nous met au sommet d’une montagne et nous fait dévaler la pente au rythme de ses mots, de ses phrases, à une vitesse vertigineuse mais il nous emmène avec lui, où il veut, comme il veut, pour notre plus grand bonheur. Arrivés en bas, lecteurs, on se regarde tous, le regard lumineux, heureux d’avoir profité ensemble de la dernière goutte d’eau, ou plutôt du dernier mot, de la dernière phrase, avec l’envie de recommencer. Pierre Lemaitre est avant tout un formidable conteur, celui qu’on aimerait écouter le soir à la veillée. Plus personne ne l’ignore désormais, lui qui avec son prix Goncourt pour « Au revoir là-haut » explosa les ventes de romans. Il avait annoncé alors que ce roman primé était le premier opus d’une trilogie de l’entre deux guerres et il tient parole en clôturant ce troisième épisode concentré du 6 avril 1940 au 13 juin 1940.

Pour débuter un bon roman il faut une belle entrée en matière et en faisant déambuler une femme nue ensanglantée dans les rues de Paris, tenant des propos incohérents, le conteur attire de suite l’attention. Mais un bon début ne suffit pas. Il faut tenir la distance, on dit même « tenir la route »: alors ce sera celle de l’exode, celle des populations quittant la capitale où les allemands arrivent, pour Orléans, la Loire, lieux mythiques, barrières psychologiques, où tous en sont persuadés, la guerre s’arrêtera. Parmi ces femmes et ces hommes, qui emportent un buffet Henri IV sur une charrette à bras ou des matelas invariablement posés sur le toit de véhicules en quête de carburant, roulent crapahutent nos personnages découverts à Paris, avant le grand départ. Il y’ a Louise, la jeune femme nue du début, qui va découvrir les secrets de sa mère. Il y’a Désiré , un jour chirurgien, un jour membre de la cellule ministérielle de l’Information, un jour curé. Et puis, Raoul, infect et attachant. Et Jules, un cafetier, réactionnaire aux charentaises usés mais empli d’amour. Et Gabriel, sous officier un peu coincé mais tellement humain. Et Alice et Fernand, brutalement richissimes. Des portraits formidables de personnes dont les destins vont se croiser et se conclure sur ces routes où les avions allemands pilonnent ces fleuves de civils à la dérive. Destins d’individus entremêlés avec la grande Histoire, Pierre Lemaitre s’appuyant sur une solide documentation, entrecroise ainsi des faits réels étonnants et souvent méconnus aux méandres de sa propre imagination.

Rarement, on a eu autant envie de tourner les pages pour connaître la suite, à la manière de ses feuilletons quotidiens, qui vous font attendre le lendemain avec impatience. Dans des circonstances historiques dramatiques, la plume se fait souvent plus légère, plus tendre et plus humoristique qu’au cours des deux précédents tomes. C’est qu’on les voit ces personnages, on les a devant nos yeux et on imagine facilement leur concrétisation sur grand écran ou sur une page blanche dessinée. Mais il faudra du talent au réalisateur ou au dessinateur pour rendre cette dimension humaine et ne pas trahir ces personnages, même si l’on se dit que Pascal Rabate avec sa Bd « La déconfiture » a déjà, sans le savoir, bien défriché le sujet.
Sans dessin, Pierre Lemaitre nous montre, dans des pages magnifiques, ces colonnes perdues sur les routes, ces vies en parenthèses, guettant le ciel et ses dangers, ces personnages secondaires, qui le temps de quelques secondes, de quelques lignes, transforment peur immédiate en moments d’histoire. Générosité, turpitude, lâcheté, dans ces moments uniques surgissent toutes les facettes de l’âme humaine, ni totalement noire, ni totalement blanche mais entourée cette fois ci d’un humour salvateur.

Et Pierre Lemaitre sait narrer, inventer. Il sait même nous demander de nous éloigner pour laisser Alice et Raoul se rencontrer car comme il l’écrit « nous connaissons l’histoire », et c’est un formidable privilège.

Le lecteur n’a pas envie que cela s’arrête. Jamais. Illusion que Pierre Lemaitre interrompt sous forme d’un épilogue où il brosse à grands traits le futur de ses personnages. Son talent est tel qu’en quelques lignes il trace dix, vingt ans ou plus, de vies dont on aimerait qu’il nous en raconte le détail. Jules, par exemple, Jules ce gros monsieur à la grosse moustache, au gros ventre, au gros coeur, dîtes nous Pierre Lemaitre, il va …. Je vous en prie, racontez nous, la suite.

Eric

Conseillé par (Libraire)
22 mars 2020

« Le pays des autres » qui est aussi le nôtre

Comme Alice Zeniter, qui avec le remarquable « L’art de perdre » revenait sur l’histoire algérienne familiale, Leila Slimani, l’autrice d’ »Une chanson douce », née à Meknès, entame, dans ce premier opus d’une trilogie, l’histoire largement biographique de sa grand-mère Mathilde.

C’est la seconde guerre mondiale qui amena Mathilde, cette jeune alsacienne de dix neuf ans, à se retrouver près de Meknès, sur des hectares de pierre, de rocaille, qui vont devenir le lieu de sa vie. Elle a rencontré Amine, officier de spahis dans l’armée française, en est tombée amoureuse, l’a épousé, et l’a suivi de retour dans son pays. A l’image des paysages désertiques, que des colons français parviennent à exploiter, utilisant la main d’oeuvre locale, les débuts du roman sont un peu austères, les personnages errants et mutiques. La description minutieuse de la vie quotidienne de Mathilde dans un univers, qui lui est de plus en plus étranger, ralentit le rythme du récit. Mais, peu à peu, au fil des pages, Leila Slimani nous emmène avec elle à leur suite, nous invite à partager leurs souffrances, leurs aspirations. Elle déploie pour cela deux qualités majeures: l’empathie, l’absence totale de jugement.

Ils prennent de l’épaisseur ces personnages au fur et mesure des évènements qui, même éloignés de la ferme d’Amine, sourd au bruissement de la révolte qui gronde, pénètrent peu à peu sur les hectares des champs d’olivier ou de tournesols brûlés. L’opposition brutale et frontale entre deux cultures, deux Dieux, deux pensées différentes, broie le quotidien et l’amour originel. Progressivement se dessine une incompréhension réciproque de deux époux, enfermés dans leur propre histoire, leur propre passé. Amine est rongé par sa volonté d’aimer librement Mathilde, un amour entravé par la nécessité de maintenir la tradition sacrée qui fait de lui, pense t’il, un homme. Mathilde, dont le mal être croît et qui pense même pouvoir revenir un moment en Alsace, elle, va mener un combat intérieur pour obtenir sa place dans ce monde de domination masculine. Sans connaissance médicale, elle ouvre une copie de modeste dispensaire.

« Ils étaient deux excommuniés qui ne peuvent plus prier dans aucune église et dont le dieu est un secret, intime, dont ils ignorent jusqu’au nom ».

L’écriture de Leila Slimani, prend toute son ampleur pour dire le désarroi de ces femmes qui veulent secouer ces décennies d’enfermement, de négation de soi. C’est à elles, ces mères, ces épouses, ces soeurs que l’on s’attache alors. Selma, la jeune belle soeur, rebelle, que l’on mariera de force à Mourad, un compagnon de guerre de son père. Ou encore Mouilala, la belle-mère, symbole d’une génération d’acceptation, de renoncement. Et Aïcha, la fille de Mathilde, intelligente et déjà pleine de questions et de révoltes, elle qui « croyait même que c’était pour cela qu’on avait inventé le maquillage. Pour masquer les coups des hommes ». Les hommes ne semblent guère plus heureux, empêtrés dans leurs contradictions, se lâchant juste par instant lors d’une baignade en mer ou de l’acceptation de quelques gestes d’amour. Ils sont lourds, comme lestés, collés au sol, loin de leurs aspirations réelles.
La toile de fond de la montée du nationalisme dans ce protectorat français, complète ce tableau où Omar, jeune frère d’Amine, symbolise la révolte des indépendantistes, lui un être sombre qui fait partie de ces « hommes pleins de grands mots, des hommes bouffis d’idéal, qui à forcée grands discours avaient épuisé en eux toute forme d’humanité ». On devine que l’obtention de l’indépendance ne changera rien à la condition féminine.
En évitant tout slogan, tout parti pris apparent, Leila Slimani poursuit avec ce livre le combat qu’elle mène partout depuis l’obtention de son prix Goncourt, celui de la lutte contre la domination masculine, l’obscurantisme religieux mais pour la liberté des moeurs, l’égalité des sexes. Un combat que le lecteur se réjouit de partager avec elle.

Eric