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Yv

http://lyvres.over-blog.com/

Je lis, je lis, je lis, depuis longtemps. De tout, mais essentiellement des romans. Pas très original, mais peu de lectures "médiatiques". Mon vrai plaisir est de découvrir des auteurs et/ou des éditeurs peu connus et qui valent le coup.

PESSOA Fernando, VITAL Joaquim

La Différence

9,15
Conseillé par
16 mars 2017

Ecrit en 1922, ce petit texte est la seule fiction parue du vivant de son auteur Fernando Pessoa (1888/1935). En à peine quatre-vingt-dix pages, ce "banquier, grand commerçant et accapareur notable" tente de convaincre son ami qu'il est un anarchiste convaincu, quasiment le seul anarchiste en théorie et en pratique, alors que les autres ne le sont qu'en théorie. Mais revenons au tout début de cet ouvrage, délicieux, une formule que je trouve épatante : "La conversation qui s'était alanguie peu à peu, gisait entre nous, morte. J'essayai de la ranimer, au hasard, en faisant appel à la première idée qui me passa par la tête." (p.7) La suite est le raisonnement jusqu'auboutiste, provocant et absurde du banquier. Le résumer ici serait faire injure à Pessoa mais aussi injustice aux futurs lecteurs pour qui la surprise serait moindre.

Le banquier alors jeune homme veut s'affranchir de ce qu'il appelle les "fictions sociales", c'est-à-dire ces chemins tout tracés selon que l'on naît riche ou pauvre, comte ou roturier, homme ou femme, ... Son raisonnement intellectuel d'abord intéressant et purement théorique qui part de la définition suivante de l'anarchisme : "la révolte contre toutes les conventions, toutes les formules sociales, le désir et l'effort de les abolir entièrement..." (p.18) le mènera vers des décisions étonnantes pour un anarchiste. Le refus de toute contrainte et tyrannie sociales le poussera à des questionnements et des réponses aux antipodes de ce que l'on s'attend à avoir dans un discours anar.

Si ce raisonnement peut faire sourire par ses excès, ses outrances, il fait également réfléchir aux discours auxquels nous sommes malheureusement habitués, ceux vides ou dénués de sens de certains politiciens. Je pourrais sourire et me servir de ce texte pour argumenter dans des diners entre amis, car dans ces moments-là je trouve qu'il est drôle de défendre une opinion qui n'est pas forcément la mienne juste pour énerver les copains et boire un coup ensuite. Mais à y regarder de plus près, le texte de Pessoa malgré ses énormités et ses contradictions est plus qu'un amusement de fin de soirée tant il fait appel à des comportements de nos jours ancrés dans les mœurs. Finalement, on frissonne de tant de cynisme, et pourtant ce n'est qu'une fiction... que la réalité, presque un siècle plus tard a rattrapé.

Roman

Éric Pessan

Albin Michel

16,00
Conseillé par
16 mars 2017

Ce n'est pas un secret pour qui suit ce blog : j'aime Eric Pessan, enfin, entendons-nous bien, lorsque j'écris cela, comprenez : j'aime les livres d'Eric Pessan. Je l'ai découvert il y a longtemps avec Les géocroiseurs et juste après avec L'effacement du monde, son premier roman, superbe, que je conseille vivement à tous. Je parle volontairement de ce premier roman, car j'ai retrouvé dans La nuit du second tour, la profondeur, la mélancolie, l'abîme dans lequel ses personnages s'enfoncent se posant mille et une questions. David et Mina sont deux personnes un peu perdues depuis qu'elles se sont quittées, David abruti par son parcours professionnel et sa peur de dire non à son responsable pour garder son emploi, Mina évoluant comme une somnambule, sans vraiment participer à sa vie. Et puis, quelques mois après cette séparation, survient une campagne pour l'élection présidentielle aussi lamentable que celle que nous subissons actuellement (qui pourrait bien se finir comme dans la fiction) : "Des années et des années de débats, de dénonciations, d'appels à l'intelligence, de luttes pour finalement en arriver là. L'addition des crises et des promesses trahies, des dépressions et des chances ratées, des petitesses et des rancœurs, des ego et des arrivismes, plus la conviction profonde que le pire ne se produira jamais ont permis que cela advienne." (p.129) Ces deux phrases peuvent décrire l'élection bien sûr mais aussi la relation entre David et son employeur. Sur fond de violence, de peur, de frustration, David et Mina évoluent, vont au plus profond d'eux-mêmes pour tenter de rebondir et se sortir de ce brouillard qui recouvre leurs vies : "Un jour, quelque chose devait fatalement céder, parce qu'il est plus facile de se rompre que de se transformer, de se déchirer que d'adopter une nouvelle forme. David habite une vie invivable, un champ devenu stérile de n'être pas entretenu." (p.16/17).

Ce roman est assez court, dense, formidablement écrit, les phrases élégantes, parfois très visuelles : "Des nappes de brouillard lacrymogène coulent au sol et lèvent des nuages à hauteur d'homme. Les volutes masquent la confusion, s'improvisent rideau, se tissent et se déchirent net quand un manifestant en jaillit, poursuivi par des policiers en civil." (p.102). L'écriture est sobre et travaillée, va à l'essentiel à l'intérieur de David et Mina, sans pour autant oublier de décrire les arrière-plans : ville en révolte ou océan déchaîné. Quelques chapitres du début et de la fin adoptent une ponctuation et un découpage particuliers marquant à la fois l'urgence de la situation et la déroute de David, Mina et plus globalement des Français accablés par le résultat de l'élection.

J'aurais aimé être plus léger dans mon propos, mais le bouquin est tellement en phase avec ce que nous vivons actuellement et qui n'est pas risible du tout que ça m'est impossible. Fillon sombre par trop de malhonnêteté et Le Pen grimpe haut, très haut, trop haut malgré une honnêteté aussi absente que celle de son confrère. La gauche est divisée comme jamais... J'ai rarement autant craint une élection.

Un roman -pour revenir à mon sujet principal- qui se lit lentement, malgré le feu dans les rues, qui se savoure pleinement et dont les deux protagonistes principaux risquent bien de marquer le lecteur durablement, j'ajoute une qualité littéraire indéniable et évidente, et voilà, un autre coup de cœur de ce début d'année.

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16 mars 2017

Un très joli roman, le quatrième de l'auteur que personnellement je découvre. Le ton est décalé, le roman vif, drôle tout en abordant des thèmes sérieux. Il y est question de l'absence, de la disparition, de la solitude, de l'amour, de la mort, ... "Jules n'est pas guéri car on ne guérit pas de ce dont il souffre, une douleur qui ne s'éteindra pas tant que la vérité ne se fera pas sur Céline, une douleur qui ne s'éteindra peut-être jamais. Il parvient à vivre avec, c'est différent, mais c'est mieux que survivre sans." (p.167)
Jules est attachant et agaçant tout à la fois. On a envie de le secouer pour qu'il se bouge et prenne sa vie en main, qu'il ne passe pas à côté des belles rencontres qu'il fait. Et puis, on comprend qu'il lui est difficile de se lever pour aller étudier. Il est mou, mais son côté décalé, en dehors des normes et des codes le rendent sympathiques. On imagine même que les digressions d'Arnaud Dudek, souvent drôles, simples naissent dans le cerveau de Jules :
"La voisine propose alors de poursuivre la conversation chez elle, devant une tisane aux graines de fenouil -comme deux Français sur cinq, Bérénice croit aux bienfaits de l'homéopathie, qu'il convient de ne pas confondre avec la phytothérapie. Jules n'y voit pas d'inconvénient. Bien au contraire." (p.49)

C'est charmant, tendre et délicat, je n'ai pas assez d'adjectifs de ce genre pour qualifier ce roman, mais le mieux serait de faire une liste d'iceux, c'est ce qui me vient à l'esprit lorsque je parle de mon ressenti pendant et après ma lecture. Ou alors, citer des passages et encore citer, tant je me suis plu dans l'univers du romancier. Un doux moment de quiétude, sans bruit et sans fureur, mais pour autant pas sage et oubliable. Une écriture que j'aime beaucoup qui tant qu'on la lit ravit et qui, une fois quittée laisse un joli goût de revenez-y comme on dit chez moi.

Décidément, beaucoup de belles plumes poétiques, décalées, drôles, émouvantes, tendres, étonnantes, et tout et tout chez Alma.

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21 février 2017

Coup de coeur

Lire un roman de Jacques-Olivier Bosco -JOB pour ses lecteurs- c'est vivre à une vitesse largement réprimandée par les forces publiques. L'avantage c'est que si l'on est pris pour excès de vitesse, on ne peut pas l'être pour ébriété, puisqu'il est impossible de lâcher le livre pour aller boire ; à peine est-il entamé qu'on a envie de le finir et qu'on le finit. Ça va vite, très vite, très très vite, très très très vite... C'en est même fou, tant de célérité et tant d'action dans un roman policier. Lorsqu'une est finie, hop une autre débute et il faut bien des détours violents et agités -et passionnants- pour arriver au bout de cette intrigue. Lise est jolie. Lise est forte. Mais Lise est malheureuse et pas très équilibrée. JOB s'attarde un peu sur l'enfance de la jeune femme, sur ses difficultés relationnelles avec sa mère et son frère. Il ne fait pas un portrait détaillé, mais on en sait assez pour la suivre avec intérêt et souhaiter la voir s'en sortir, même si on se demande bien par quel miracle elle y parviendrait et dans quel état physique et psychique. Le propos de JOB n'est pas de nous faire un portrait psychologique de tel ou tel personnage, non, il est de nous tenir en haleine avec un polar 100% action. Certains passages peuvent êtres durs, violents, à la limite du soutenable, mais peu nombreux, et on peut toujours les passer.

En prime, on retrouve avec bonheur l'un des personnages d'un autre roman de JOB, Gosta, dit Le Cramé, un voyou qui dans le roman qui porte son surnom endosse un rôle de flic ; tout l'inverse de Brutale dans lequel Lise endosse un rôle de truand. Lise est brutale, dangereuse, incontrôlable, sexy, complètement barge et à côté de la plaque, elle obtient toujours ce qu'elle veut. Une femme forte qu'il vaut mieux connaître en littérature. C'est assez rare de voir des filles de ce genre dans le polar, là les mecs ont intérêt de se tenir et de se surpasser pour la suivre. C'est sans doute un peu exagéré ? Oui, sûrement mais on s'en moque, ça fonctionne au-delà de l'espéré. Je me suis laissé embarquer, balader, je suis même devenu voyeur dans ses moments d'intimité et tout cela en en redemandant. Ajoutons une bande-son punchy : Pink Floyd, Amy Winehouse, Metallica, Marylin Manson, AC/DC...

Ah, quel pied un bon polar de JOB ! Je traversais une période avec des lectures un peu mièvres, certaines dont je ne parle même pas dans le blog, parce que je n'avais rien à en dire ni du bien ni du mal, certaines à peine entamées déjà abandonnées... Un livre de JOB fonctionne comme un antidépresseur, un remède anti-ennui. Je peux reprendre mes activités normales de lecteur, je suis reboosté pour un moment.

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21 février 2017

Roman en trois parties qui commence formidablement bien par la vie d'Ana et les raisons qui l'ont amenée à exercer ce métier peu courant et foncièrement masculin dans la littérature et le cinéma. C'est aussi dans cette partie qu'elle découvre les films d'Orson Welles. Le livre est construit avec des retours en arrière qui permettent d'éclairer la situation présente et la personnalité d'Ana. De très belles réflexions sur l'art : "Combien d'œuvres impressionnantes du cinéma et de la littérature ont surgi des pires conflits ? [...] L'expérience artistique semble toujours surgir dans les moments d'horreur, de désespoir ou simplement de privation. Un esprit tranquille ne produit pas d'art. Pour autant, existe-t-il quelqu'un en pleine possession de ses facultés qui aimerait voir la seconde guerre mondiale se répéter ? Pour autant, existe-t-il quelqu'un qui renoncerait à s'émouvoir des images d'une Vienne ruinée dans Le Troisième Homme ?" (p.31/32). Antonio Xerxenesky pose aussi la question de ce qu'est l'art. Qui décide de ce qui est art et de ce qui ne l'est pas ? "Qui es-tu pour définir ce qui est de l'art ou ce qui n'en est pas ?" (p.90).


La deuxième partie est un peu longue, c'est celle de la rencontre avec Orson Welles et j'ai trouvé que le romancier reprenait beaucoup de ses questionnements, mais cette fois-ci en changeant le contexte, ce qui m'a quand même donné l'impression qu'il se répétait, tournait un peu en rond.

C'est un roman très musical, mais mon souci est que je ne suis pas très fan de la musique des années 80. Bon rassurez-vous, Antonio Xerxenersky nous épargne toute la daube française des ces années-là qui refait surface depuis quelques années... Non, là on est plutôt sur Depeche mode, Joy division, New order, Duran duran, Sisters of mercy, ... Je n'ai jamais été amateur de cette musique froide et sombre, très calibrée et très similaire d'un groupe à l'autre. Il développe pas mal sur les chansons de ces artistes que je n'apprécie pas plus que cela, ça sonne un peu métallique, boîte à rythme et c'est totalement déshumanisé. Heureusement, il est question -trop brièvement à mon goût- de Bruce Springsteen, là j'aurais pu adhérer...

Du bon et du moins bon dans ce roman, avec un beau personnage de jeune femme qui se cherche, pour qui la rencontre avec Orson Welles sera déterminante -et vice-versa. Je ne suis pas totalement convaincu parce que le roman est un peu déséquilibré avec cette deuxième partie plus faible, mais la troisième et courte ultime partie en forme de bilan, permet de finir sur de bonnes notes, sur cette jeune femme qui se pose des questions, qui cherche des réponses... aura-t-elle le temps de les trouver ?