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Jean-Luc F.

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23,50
Conseillé par (Libraire)
29 janvier 2020

Qu'est ce qu'un polar polonais ?

Au départ c'est plutôt la curiosité qui pousse à ouvrir "Au nom de l'enquête" (traduction très libre du titre original A na imię jej będzie Aniela, qui veut dire à peu près "Aniela était son nom"). A quoi, se dit-on, peut bien ressembler un polar polonais ? Publié en 2011 en Pologne, cet objet non identifié paraît seulement aujourd’hui en France, et l'on comprend assez vite pourquoi tant sa lecture déroute. Marcin Wronski, son auteur, le présente comme un « polar rétro », mais l'intrigue policière (une enquête sur des meurtres de femmes qui s'étalent sur presque 8 années, de 1938 à 1945, à Lublin, ville de l'est de la Pologne), cède vite le pas à une peinture plutôt sombre (c'est le moins qu'on puisse dire) de ce qu'a pu être, en Pologne orientale, l'occupation nazie, puis la « libération » par l'armée Rouge et sa sinistre arrière garde, le KGB, chargé de l'épuration non seulement de la collaboration, mais aussi de la Résistance polonaise.
Marcin Wronski révèle ici son grand talent : décrire le chaos « à hauteur d'homme » en quelque sorte, que ce soit dans une scène hallucinante de bombardement par l'aviation allemande (on pense au "Underground" de Kusturica), dans les images furtives, comme volées par de rares témoins, de la destruction du ghetto de Lublin, ou encore dans l'évocation glaçante, par son seul nom, du camp de Maidanek, tout proche. Si le livre se place à hauteur d'homme, c'est aussi à travers le portrait d'une galerie des personnages forts, hommes et femmes, pétris d'humanité chacun à leur façon, pour le meilleur et pour le pire, à commencer par le héros récurent de Marcin Wronski, le commissaire Zygmunt « Zyga » Maciejewski, alcoolique, grossier, brutal, qui collabore avec l'occupant allemand « au nom de l'enquête », mais s'engage aussi clandestinement, dans la résistance.
Le livre est parcouru de références plus ou moins explicites à Kafka (les seuls livres que Zyga ait jamais lus sont ceux de Kafka, le siège de la Gestapo à Lublin s'appelle « Le Château »), et c'est sans doute chez Kafka qu'il faut chercher l'inspiration littéraire de Wronski, dans le tragique mêlé d’absurde et de grotesque qui donne sa vraie tonalité au livre et fait son originalité. On se prépare donc avec curiosité à lire un objet non identifié (un "polar polonais"), on découvre quelque chose d'inattendu en effet, et on n'est pas déçu.

Jean-Luc

22,50
Conseillé par (Libraire)
6 janvier 2020

Avec un pincement au coeur...

13ème et avant dernier roman de la série mettant en scène le personnage de Bernie Gunther, avant la prochaine parution en français de Metropolis, (qui lui sera le dernier, puisque Philip Kerr nous a quittés trop tôt en 2018), L'offrande grecque ne déçoit pas : même rigueur dans la mise en place du contexte historique (qui se déroule ici, pour l'essentiel dans une Grèce de l'après-guerre où les souvenirs de l'occupation allemande sont encore des plaies à vif), même finesse dans la construction de l'intrigue, même ambiguïté des situations et des personnages. Bernie Gunther, le héros, ou plutôt l'anti-héros récurrent de P. Kerr, n'est pas le moins ambigu de ces personnages. Enquêteur de la Kripo (police criminelle berlinoise) au début des années 30, enrôlé à son corps défendant dans la SD, les services de sécurité de la SS, après l'arrivée d'Hitler au pouvoir, on le serait à moins. Mais la lucidité et l'humour désabusé (et néanmoins ravageur) de Bernie Gunther sauvent, une fois de plus, son humanité, et il est, dans L'offrande grecque plus attachant encore qu'il l'a jamais été.
Faux roman historique (extrêmement documenté. Il est question ici du massacre des Juifs de Salonique sous les ordres du sinistre Alois Brunner, criminel nazi qui n'a jamais été retrouvé), mais vrai roman policier, L’offrande grecque se lit d'une traite, et c'est avec un pincement au cœur qu'on se dit qu'on ne lira plus de romans de ce grand auteur qu'était Philip Kerr.

Jean-Luc

Conseillé par (Libraire)
6 janvier 2020

A sauts et à gambades

Progressant « à sauts et à gambades » comme son maître Montaigne, Tanguy Viel, dans Icebergs, nous fait voyager non dans la littérature, mais autour de la littérature, s'arrêtant sur quelques parties émergées d'un immense continent. Il est question des livres qu'à inspirés l'expérience de la mélancolie, de l'obsession que peut devenir l'écriture d'un journal intime, de la rencontre improbable et pourtant réelle entre Virginia Woolf et Sigmund Freud, et de cet esthète allemand nommé Aby Warburg, dont le grand œuvre n'est pas un livre, mais une bibliothèque qu'il a constituée sa vie durant, tellement originale et en cela précieuse qu'elle a été déménagée en Angleterre (où elle est toujours) à l'arrivée au pouvoir d'Hitler....
Un petit livre (120 pages), mais un grand bonheur de lecture

Jean-Luc

Conseillé par (Libraire)
14 octobre 2019

Autoportait en voyageur

« Un homme se fixe la tâche de dessiner le monde (…). Peu avant de mourir, il découvre que ce patient labyrinthe de lignes trace l'image de son visage ». Cette citation de Borges qu'Olivier Rolin place en exergue de son livre décrit exactement le projet d’Extérieur Monde : même s'il n'est pas (on l'espère pour lui) à l'article de la mort , Olivier Rolin veut brosser une sorte d'autoportrait à travers l'évocation des voyages qui l'on construit. Car il est un grand voyageur, autant qu'un grand écrivain, et l'un ne va pas sans l'autre. Comme le peintre s'essaie à des esquisses avant de s'attaquer au tableau, Olivier Rolin fait d'abord semblant de ne pas savoir où il va, si même un livre verra le jour. Il adopte la technique du marabout-bout de ficelle : un trajet aux Açores en avion ouvre une digression fantasque sur les voyages en avion, le souvenir d'une photo au mur du bureau délabré d'une revue littéraire à Saint Pétersbourg ouvre une autre digression sur le goût de l'auteur pour les lieux délabrés (dont son propre appartement parisien). Et ainsi de suite. Il y a là, dès les premiers chapitres, un grand plaisir de lecture, car Olivier Rolin, s'il sait voyager, sait aussi écrire. Et puis au fur et à mesure qu'on avance le propos prend de l'épaisseur, et l'émotion s'installe. Car bien entendu la plupart des voyages qu'Olivier Rolin a faits il ne les refera plus. Et même si le coq à l'âne sert toujours, si l'on peut dire, de fil conducteur, se construit, l'air de rien, une réflexion empreinte de mélancolie sur le temps qui passe, sur ce qui disparaît avec lui, mais aussi une magnifique démonstration qu'au delà de ce qui nous échappe perdure la beauté des choses dont nous nous souvenons, celle des paysages, des sensations, des femmes, des livres aussi, de tous les moments d'intense émotion qui font qu'une vie vaut d'avoir été vécue.

Jean-Luc

Conseillé par (Libraire)
22 septembre 2019

Mélancolique et intense

Roy Jacobsen accorde son écriture au dénuement et à l'âpreté des lieux et du moment où il situe son histoire : des îles perdues au nord de la Norvège, occupées par les Allemands, à la fin de la Seconde Guerre mondiale : dépouillement de la phrase, clarté de la ligne narrative, poésie brute (on admire la belle traduction d'Alain Gnaedig), violence des situations, humanité des personnages, douceur du regard. Tout concourt à faire de Mer blanche un très beau roman, à la fois mélancolique et intense. On pense parfois à la merveilleuse trilogie de l'Islandais Jòn Kalman Stefànsson, Entre ciel et terre, le souffle de la "saga" en moins. Mer blanche est le second volet d'une tétralogie (entamée avec Les invisibles). On attend avec impatience la suite.

Jean-Luc