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Jean-Luc F.

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Conseillé par (Libraire)
22 septembre 2019

Mélancolique et intense

Roy Jacobsen accorde son écriture au dénuement et à l'âpreté des lieux et du moment où il situe son histoire : des îles perdues au nord de la Norvège, occupées par les Allemands, à la fin de la Seconde Guerre mondiale : dépouillement de la phrase, clarté de la ligne narrative, poésie brute (on admire la belle traduction d'Alain Gnaedig), violence des situations, humanité des personnages, douceur du regard. Tout concourt à faire de Mer blanche un très beau roman, à la fois mélancolique et intense. On pense parfois à la merveilleuse trilogie de l'Islandais Jòn Kalman Stefànsson, Entre ciel et terre, le souffle de la "saga" en moins. Mer blanche est le second volet d'une tétralogie (entamée avec Les invisibles). On attend avec impatience la suite.

Jean-Luc

Conseillé par (Libraire)
12 septembre 2019

Du grand art

Jean-Philippe Toussaint a ce talent qui n'appartient qu'à lui de rendre légèrement cocasses, curieusement étranges et vaguement inquiétants les univers les plus banals, ici celui de la sécurité informatique. Lui seul aussi sait, au terme d'une sorte de parcours initiatique dans lequel nous sommes, comme le narrateur, de plus en plus perdus , nous faire basculer avec ce dernier dans une émotion qui nous prend de court et nous serre le cœur.
Tout ça en moins de 200 pages ! Du grand art !

Jean-Luc

Presses universitaires de France

15,00
Conseillé par (Libraire)
3 septembre 2019

1938, l'année des défaites

Dans une démarche volontairement empirique, qui a consisté, pour l'essentiel, à lire les journaux et discours de l'époque (auxquels internet donne un accès immédiat et quasi-illimité), Michaël Foessel, qui aime à rappeler qu'il n'est pas historien mais philosophe, éclaire l'année 1938 à la lumière des mécanismes qui font reculer une démocratie.
Ce qu'il perçoit et analyse c'est l'installation d'une rhétorique qui masque et légitime dans le même temps le renoncement aux valeurs de la République, qui va conduire, à partir de la fin du Front populaire à une série de « défaites » : défaite des partis, défaite sociale, défaite morale enfin, à travers les accords de Munich bien sûr, mais aussi sur la question de la « tragédie des réfugiés » (comprendre celle des Juifs qui fuient le Reich) qui n'est pas sans évoquer notre « crise des migrants ». Sombre tableau qui illustre aussi une défaite intellectuelle à laquelle échappent heureusement quelques figures (celle peu connue d'Henri de Kerillis, celles de Georges Bernanos ou de Marc Bloch).
1938 n'est pas 2018, et l'histoire ne se répète pas tient à souligner Michaël Foessel. Il ne nous en alerte pas moins sur ce qui pourrait être aujourd'hui la mise en place d'une même rhétorique du renoncement, qui n'annoncerait rien de bon.
Un livre essentiel.

Jean-Luc

Conseillé par (Libraire)
2 mai 2019

L'usage de l'Europe

Remonter le Danube à vélo avec un ami ukrainien est une belle aventure, mais ce qui intéresse Emmanuel Ruben est moins le récit, souvent drôlatique, parfois exalté, de cette équipée qui n'hésite pas à emprunter les chemins de traverse, que la longue méditation qu'elle nourrit sur l'Europe, ce «vieux continent vieillissant».
Méditation sensible et mélancolique dans la partie «balkanique» du parcours, Roumanie, Bulgarie, Serbie, Croatie, qui sont pour Emmanuel Ruben le cœur battant de l'Europe, où se mêlent les langues, où les minarets rappellent que l'empire Ottoman fait partie de notre histoire à nous Européens, et où les multiples rencontres façonnent l'image d'un humanité diverse, souffrante et pourtant généreuse (la rencontre de Zanko, le trompettiste, et de sa famille de Tziganes sortis d'un film de Kusturica, au coucher du soleil, sur une terrasse dominant le Danube, est la plus poignante).
Méditation inquiète et désabusée au fur et à mesure qu'on se rapproche d'une Europe «germanique», Hongrie fortifiée de Viktor Orban, où les rencontres se font rares, Autriche aseptisée, et Bavière amnésique où errent ici où là les fantômes du nazisme, où on ne rencontre plus personne.
Emmanuel Ruben met abondamment l'histoire au service de son propos, depuis l'épopée de Samuel 1er, le tsar qui unifia les Balkans au XIe siècle jusqu'à celle des guerres fratricides qui les déchirèrent dans le dernier XXe siècle, et dont les ruines de Vukovar sont la sinistre trace. Mais il invite aussi, et à chaque moment, la géographie, car il n'oublie pas qu'il a été et est toujours géographe. L' acuité du regard donne au paysages traversés une présence presque palpable, et le goût pour les noms de lieux et leurs sonorités, villes - Odessa, Galaţi, Olteniţa, Baikal, Novi Sad, Esztergom-, et contrées -Dobroudja, Valachie, Voïvodine, Wachau- ajoute à la musicalité d'une écriture ample, dont le déroulé, tantôt apaisé, tantôt fougueux semble épouser celui du fleuve.
Mélancolie, acuité du regard, musicalité de la langue, humanité. On pense évidemment à Nicolas Bouvier et à "L'usage du monde", ce merveilleux livre dont la lecture en a marqué plus d'un. e. Le voyage de Nicolas Bouvier l’emmenait de Genève et de l'Europe, dont il fuyait l'ennui, vers l'Orient, métaphore d'un monde où apprendre à vivre. Le voyage d'Emmanuel Ruben le ramène, et nous avec lui, vers l'Occident, et la réalité du monde où il nous faut vivre, celui d' une Europe confrontée comme il l'écrit, «non à une crise des migrants, mais à une crise des valeurs», celui d'une Europe qu'il nous faut non plus fuir, mais réinventer, réécrire.

Jean-Luc.

Conseillé par (Libraire)
23 avril 2019

Un subtil roman noir

Premier roman de R.J. Ellory, aujourd’hui seulement traduit en français, Les fantômes de Manhattan porte en germe ce qui constitue la force de l’œuvre de cet auteur anglais dont tous les romans se déroulent en Amérique.

L’écriture est séduisante : ici alternent ce qui ressemble à une comédie romantique (il y a même une librairie qui ressemble à celle de "Notting Hill") et un récit violent, inscrit dans l’histoire de l’Amérique d’après-guerre , que la quatrième de couverture compare à "Il était une fois en Amérique" de Sergio Leone ; l’intrigue, peut-être un peu ténue, est néanmoins savamment construite, et réussit à nous surprendre dans son ultime rebondissement. Les personnages sont plus complexes qu’il ’y parait dans un genre qui relève du roman noir, et celui de l’héroïne, Annie, la jeune femme qui tient cette petite librairie de Manhattan, surprend par la finesse d’analyse des émotions, et des sentiments qui la traversent. Et, ce qui ne gâche rien, R.J. Ellory rend constamment présent le décor de son histoire, Manhattan, qu’il décrit parfois avec un lyrisme convaincant.

Jean-Luc