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Les couleurs de nos souvenirs

Michel Pastoureau

Seuil

  • Conseillé par
    8 mars 2013

    coup de coeur

    De Michel Pastoureau, j'avais beaucoup aimé L'étoffe du diable et un peu moins Bleu car je l'avais trouvé très technique. Depuis sa sortie, j'avais hâte de découvrir cet essai, et encore plus après qu'il ait reçu le Prix Medicis Essai 2010 et le Prix Essai France Télévisions 2011. Vous vous doutez bien qu'il est difficile de résumer un livre sur les couleurs, je vais donc me contenter de noter ce qui m'a marquée dans ce livre, qui m'a permis de ne pas voir le temps passer lors de mon attente à l'aéroport de New-York.

    Michel Pastoureau égaie son roman par des anecdotes personnelles sur les couleurs. Il commence par l'histoire de ce blazer qu'on le força à acheter et qui n'était pas aussi bleu marine que ceux de ses camarades, ce qui le fit prendre ce blazer en horreur. Hypersensible aux nuances et aux couleurs, il en déduit que de cette anecdote naîtra sans doute son attention particulière pour le bleu auquel il consacrera tout un ouvrage. Nous racontant une autre anecdote, celle des machines à bonbons dans le métro, il se rend compte que, peut-être, il se trompe sur la couleur de la machine qu'il pensait orange alors qu'elle semble grise et que seuls les bonbons étaient oranges. Or, selon Pastoureau, prendre la partie pour le tout est acte de mémoire relativement fréquent.

    Du rouge, Pastoureau insiste sur son côté interdit; ainsi deux jeunes filles furent menacées d'exclusion dans son lycée pour avoir porté des pantalons rouges. De même, lorsque les soldats plient le drapeau, le rouge ne doit pas être visible (le blanc non plus mais il peut l'être dans certains cas). On apprend d'ailleurs que si le drapeau français est constitué de bleu, blanc, rouge, aucun texte ne définit les nuances de ces couleurs et que Valéry Giscard d'Estaing demanda à ce que la nuance de bleu soit changée. Et aussi incroyable que cela puisse paraître, jusqu'en 1970, certaines assurances faisaient payer un surplus aux propriétaires de voitures rouges tant cette

    couleur était associée à la jeunesse des conducteurs. Autre fait étonnant concernant le rouge et l'association voyelles/couleurs: si vous tentez d'associer des couleurs aux voyelles et que vous faites le test autour de vous, la majorité des gens associent le A au rouge (testé autour de moi, c'est exact). L'auteur ne donne pas d'explication mais peut-être est-ce tout simplement dû aux A des apprentis conducteurs que nous avons coutume de voir.

    Il nous parle aussi de l'évolution des sous-vêtements, exclusivement blancs à l'origine pour des raisons de lavage et d'hygiène et qui tendent à devenir noirs si l'on en juge des préférences des occidentales. D'ailleurs, parlant de vêtements, Pastoureau a cette réflexion:

    Souvent je pense aux historiens du futur [...]. Dans leur documentation prendont place les magazines de mode. J'espère qu'ils ne seront pas naïfs au point de croire qu'en 2010, nous étions habillés comme sur les photos de ces magazines.

    N'oublions pas le vert, couleur préférée de l'auteur qui par ailleurs, déteste le violet, tout mon contraire. Il explique pourquoi les acteurs ne portent pas de vert sur scène. Le vert de gris était utilisé dans les costumes et décors de théâtre entre 1600 et 1630 et cette substance empoisonna des comédiens qui en moururent, d'où l'idée que cette couleur portait malheur. Il semble que cette tradition soit aussi valable dans l'édition où une couverture verte freine la vente d'un livre.

    Et Pastoureau n'hésite pas à se moquer des sportifs, qui sont sa cible privilégiée depuis qu'ils sont transformés en hommes sandwich et notamment du maillot rose du Stade français sur lequel est écrit "Orange", ce qui selon lui, devraient intriguer les archéologues du futur. Mais ce qui nous intrigue et l'intrigue aussi, c'est l'accord des adjectifs de couleur qui varie selon les auteurs, notamment pour l'accord de marron qui peut se mettre au pluriel mais pas au féminin, ce qui peut donner des "chaussures marrons".

    Bien sûr, je ne peux finir ce billet sans parler du violet, le mal-aimé selon le livre. Dans une classe de primaire, on a demandé aux enfants de choisir spontanément un groupe lié à une couleur: aucun élève n'a souhaité faire partie du groupe violet. A cela, deux explications: le violet, couleur complémentaire comme le vert, n'est pas comme ce dernier considéré comme une couleur à part entière. De plus, le violet est perçu comme portant malheur. Je pense cependant que ce qui fut sans doute vrai il y a quelques années ne le serait plus maintenant, le violet a, à mon avis, gagné quelques galons. Si le violet est l'une de mes deux couleurs préférées, l'autre est le bleu et en ceci, je ressemble à plus de 40% de la population occidentale.