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  • Conseillé par
    13 juillet 2012

    Chronique

    Prison de Charlestown – Banlieue de Boston – Etat du Massachusetts.

    Nuit du 22 au 23 août 1927.

    Le bourreau Robert G. Elliott s’exécute : il lâche des milliers de chevaux électriques, qui parcourent aussitôt le corps de Nicola Sacco et le secouent de spasmes. L’onde de feu se propage en grésillant, dévorant les tissus, grillant les synapses. Quand le sang aura bien bouillonné, on détachera les sangles. Le cadavre du présumé coupable sera alors amené. Un anarchiste de moins, c’est toujours ça de gagné… Viendra ensuite le tour de Bartolomeo Vanzetti. Lui aussi passera sur la chaise et fera connaissance avec la foudre. Sa douleur et sa peine seront capitales. Jusqu’au bout, l’homme clamera son innocence. Mais rien à faire : la partie était jouée d’avance… Son décès épileptique est l’épilogue d’une American Tragedy débutée sept ans auparavant. Florent Calvez nous en fait le récit dans un livre parfaitement documenté, particulièrement poignant.

    L’auteur, bien connu des lecteurs de Jour J et de Sept, a choisi de retracer le parcours des deux compagnons d’infortune, mettant en scène un dialogue entre un grand-père anar et son petit-fils. Point de vue intéressant, où le sage transmet à la jeune génération ses opinions, ses sentiments, ses convictions.

    Sacco et Vanzetti sont des immigrés venus de la Ritalie prolétaire. Poussés par la faim, ils ont quitté le « Vieux Continent » pour gagner le « Nouveau Monde ». D’injustice en injustice, ils y traînent bientôt leurs guêtres, leurs semelles de misère. Aux Etats-Unis plus qu’ailleurs, dans les années 20 plus que jamais, la lutte des classes semble avoir du sens. Sacco et Vanzetti sont alors porteurs d’idées jugées subversives, aux couleurs rouges et noires. Ils brandissent un poing fermé. Sur leur drapeau s’inscrivent en grand les lettres du mot liberté.

    Le 5 mai 1920, les voilà arrêtés, accusés d’avoir perpétré un double braquage et d’être responsables de la mort de deux convoyeurs de fonds. Le tribunal les condamne à la peine la plus lourde, après une instruction bâclée menée par le juge Tayer. Celui-ci est un affreux conservateur, anti-gauchiste et xénophobe. Il restera sourd à l’immense soutien populaire, jusqu’à la fin tragique que l’on connaît.

    Florent Calvez met le doigt où ça fait mal. Au moment où certains font de la « préférence nationale » un credo, en ces heures puantes où l’immigré est encore accusé de tous les maux, son livre est clairement une œuvre engagée. L’auteur ne nous dit pas que Sacco et Vanzetti sont blancs comme neige, mais il émet des doutes, dénonce un procès à charge, des dossiers troubles. Il démontre avec brio que les deux gars n’ont pas bénéficié d’une justice équitable. Victimes d’un contexte et de leur statut de symboles, ils ont payé le prix fort.

    American Tragedy est au final un percutant plaidoyer en faveur de la vie à tout prix. C’est un livre honnête et sincère, un récit fort et militant. La peine de mort est d’un autre temps.

    Bert’

    Lire la chronique illustrée : http://www.brestenbulle.fr/?p=4310


  • Conseillé par
    20 avril 2012

    Sur un banc d’un parc new-yorkais, un vieil homme et son petit-fils disputent une partie de dames. Et l’aïeul raconte l’histoire de Bartolo Vanzetti et Nicola Sacco, « des anarchistes italiens qu’on a condamnés à la chaise électrique. Une erreur judiciaire. » (P. 4) Leur procès a marqué les années 1920 et n’en finit pas d’interroger la légitimité de la peine de mort.
    Dans une Amérique qui attire de nombreux immigrés qui cherchent à faire fortune, les injustices sociales se multiplient. Les syndicalistes, les socialistes, et les anarchistes luttent pour l’égalité, de façon plus ou moins active. « Les Galleanistes s’étaient fait une spécialité d’envoyer ou de poser des bombes contre ceux qui, selon eux, œuvraient contre les intérêts du peuple… des sénateurs, des businessmen, des flics, des curés... » (p. 20) Le pouvoir en place réagit avec violence à cette menace rouge : alors que le communisme semble envahir l’Europe, l’Amérique capitaliste refuse de laisser submerger.

    La police arrête à tour de bras et traque les « Rouges », usant de méthodes illégales et barbares : arrestations abusives, interrogatoires violents, déportations, manipulation d’opinion, etc. Et les anarchistes ripostent, rendant coup pour coup. « Je ne justifie rien de ce qu’ont fait ces mecs-là […] : je dis juste que quand un pouvoir se comporte mal, il pousse des gens à commettre des choses pires encore… » (p. 64)
    Présumés coupables d’un braquage sanglant, Sacco et Vanzetti sont arrêtés. Mais rien ne se passe selon les règles légales. « Quoi ? Ils ne savaient pas de quoi ils étaient accusés ? / Exactement ! » (p. 51) S’ensuivent une procédure inique et un procès truqué à l’issue duquel les deux Italiens sont condamnés à mort. La sentence est clairement injuste et révoltante. Tout le monde l’admet, mais la justice américaine refuse de revenir sur cette affaire. « Tu sais, à l’époque, tout le monde s’est senti concerné. Dans un camp comme dans l’autre. Et partout dans le monde. » (p. 4) Rien n’y fait : Sacco et Vanzetti meurent sur la chaise électrique. Plus tard, la justice reconnaîtra ne pas leur avoir offert un procès équitable, même si ça ne rachète pas une vie. Mais, finalement, « un symbole, ça ment toujours. » (p. 111)
    Florent Calvèz le précise à la fin de son œuvre, il présente sa propre vision de la tragique histoire de Sacco et Vanzetti. Quels que soient son parti pris et ses convictions, il a produit un récit magistralement mené, à la fois clair et éclairé. Sur une pleine page, la statue de la Liberté a la digne allure d’un symbole bafoué. Le trait de l’auteur/dessinateur est griffonné par une pointe fine et nerveuse. Les visages sont tragiquement expressifs et les scènes d’explosion vibrent encore d’une déflagration laissée par la plume et le pinceau. Je ne sais pas vraiment expliquer pourquoi, mais il me semble que ce dessin correspond parfaitement à l’époque et au sujet. En lisant ce récit, j’avais le sentiment de feuilleter une chronique d’époque. L’ultime lettre de Sacco à son fils est une merveille de tolérance et d’espoir, un peu à la façon du poème de Rudyard Kipling : c’est un message de paix et d’humanisme, de dignité et d’honnêteté.