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Juger la terreur, Le procès des attentats de janvier 2015
EAN13
9782815941440
Éditeur
Editions de l'Aube
Date de publication
Collection
Monde en cours - Essais
Langue
français
Langue d'origine
français
Fiches UNIMARC
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Juger la terreur

Le procès des attentats de janvier 2015

Editions de l'Aube

Monde en cours - Essais

Indisponible

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"Comment trouver une méthode qui n’était pas celle de la sociologie que je
pratiquais habituellement lors de mes recherches (observations, entretiens,
questionnaires, emploi de statistiques) pour analyser un procès « hors normes
», celui des attentats de janvier 2015 ? Ce procès exigeait une autre façon de
procéder qui se détache très souplement, jamais radicalement, de la puissance
des catégories sociologiques incorporées dans un habitus professionnel d’une
trentaine d’années de terrains. Quand me revint en mémoire le bel ouvrage de
Bronislaw Malinowski, Les Argonautes du Pacifique Occidental, que je relisais
avec un grand plaisir. « L'ethnologie, disait-il, se trouve dans une situation
à la fois ridicule et déplorable, pour ne pas dire tragique, car à l'heure où
elle commence à s'organiser, à forger ses propres outils et à être en état
d'accomplir la tâche qui est sienne, voilà que le matériau sur lequel porte
son étude disparaît avec une rapidité désespérante ». Au fond n’étais-je pas,
mutatis mutandis, dans la même situation avec le procès des attentats de
janvier 2015 ? Une unité de lieu : le palais de justice de Paris. Une unité de
temps : quarante-neuf jours. Tout allait très vite et je n’avais quasiment
aucun moyen ni le temps de faire des entretiens avec les différents acteurs du
procès. N’ayant pas de tente à planter au milieu du village, selon
l’expression de Malinowski, et donc tout le temps devant moi, il ne me restait
plus qu’à faire usage d’une science contemplative en privilégiant, quarante-
neuf jours durant, le regard, l’écoute et l’observation, le tout constituant,
pour dire les choses rapidement, en une méthode inductive qui conjuguait mon
expérience personnelle et l’exploration méthodique d’une réalité, celle d’un
procès devant la « cour d'assises spéciale de Paris ». C’est en me laissant
porter par ce procès que j’ai découvert la meilleure façon de me mouvoir dans
ce monde si bien réglé même s’il lui arrive de faire face, plus souvent qu’on
ne croit, à de multiples écarts et perturbations. Alors vint au bout de deux
ou trois séances la pratique que j’ai pensée la plus pertinente : tenir en
même temps deux modes d’appréhension du réel, le journalisme et la sociologie.
Le journalisme en tant qu’il est une manière de décrire et d’écrire des
activités quotidiennes fondée sur le recueil et le commentaire de faits ou
d’évènements historiques importants. La sociologie en tant qu’elle est une
science des faits sociaux dont l’objet propre n’est ni l’individu singulier ni
le groupe comme ensemble d’individus mais le système de relations entre les
corps et les choses au sein d’un monde social daté et situé. Ainsi, au fil des
premières séances, la procédure la plus appropriée et la plus heuristique fut
d’être aussi attentif que possible à une multitude d’indices qui ne sont pas
seulement des signes (une expression, un échange, un mouvement du corps, un
silence, etc.) qui révèlent l'existence d'une chose mais que j’ai saisi comme
des abrégés du monde. Je pourrais le dire autrement ; mon intérêt tout au long
de ce procès s’est porté sur les « rebuts », ces choses tombées à l’écart, que
l’on a sous les yeux mais que l’on ne voit pas. Ce sont donc ces traces, ces
suites d’empreintes, qui ont attiré mon attention, aiguisé ma curiosité,
laissé interrogatif, mis sur la voie de dimensions inaperçues, incité à
regarder de plus près tels ou tels aspects d’apparence inessentielle, etc."
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