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Soledad, Intégrale

Tito

Casterman

  • Conseillé par (Libraire)
    2 février 2022

    Intimiste et universel

    C’est une Bd étrange. Elle débute par quelques saynètes de quatre pages. Des planches qui disent peu mais sur lesquelles pèse un poids mystérieux. « Après tout ce que tu as connu » déclare la vieille Carmen à Sarah. « Tout ça c’est du passé. C’est fini maintenant! Tu entends? C’est fini » dit Maria à son mari Adolfo qui cauchemarde des nuits entières. Peu à peu ces scènes anodines de quelques cases prennent de l’ampleur et ouvrent pesamment la chronique d’un petit village espagnol castillan, écrasé de soleil et du passé franquiste. C’est bien de ce passé qu’il s’agit à Soledad, celui du non-dit, des secrets, des trahisons, ce passé de la guerre civile qui recouvre le présent de ses poussières secrètes. Tito a vécu son enfance dans ce village proche de Tolède et dessina les premières planches de Soledad dans les pages de la revue (A suivre) au début des années 80. Franco était mort et Juan Carlos prenait la suite. Il fallait passer à un autre monde et ce sont les auteurs de Bd qui osèrent les premiers revenir sur le passé proche, bravant les interdits, les silences coupables. Avec Soledad, Tito ouvrait cet examen de conscience.

    Cette pesanteur traverse tout l’ouvrage qui de petites histoires en grandes histoires, s’attache particulièrement aux femmes, celles toute ridées comme Sarah, assise sur une chaise à l’ombre du soleil et de son histoire, qu’elle taira longtemps, habituée comme toutes ces veuves, ces mères à dissimuler leurs sentiments, leurs colères derrière leurs broderies. Cela commence doucement, lentement au rythme des couchers et levers de soleil, lenteur des jours qui passent qui permet à Tito d’installer ses personnages. Et peu à peu comme un étranger qui arrive, allant de ruelles en ruelles, de maisons en maisons, nous intégrons la vie de cette communauté. Au fur et à mesure des six chapitres écrits de 1983 à 2003, les langues se délient comme si l’éloignement de la mort de Franco, permettait à la parole de Tito et de ses personnages de se libérer. Les conversations pleines de sous entendus des femmes dans les rues ombragées laissent place aux discours explicites des hommes sur la place du village. La Bd ose dire enfin et l’arrivée des troupes nationalistes en 1936 n’est plus un souvenir mais devient la réalité d’un chapitre entier.

    Le dessin initialement prévu en noir et blanc se veut réaliste, précis comme dans un reportage, car il est hors de question de trahir le témoignage des siens recueilli dans l’urgence, avant que ces témoins ne disparaissent définitivement. En Espagne comme ailleurs, on sent poindre la volonté d’oublier ou de transformer un passé national peu glorieux. Quand les derniers participants meurent, la réécriture de l’histoire devient une menace. Alors des ouvrages racontant et figeant l’Histoire réelle deviennent encore plus essentiels. La vie de Soledad, ce petit village castillan, fait partie de ces ouvrages.