Pour suivre notre actualité, les rencontres d'auteurs, les ateliers, les coups de coeur... abonnez-vous à la newsletter de La Grande Ourse !

 

Pas de deuil pour ma mère

Hassouna Mosbahi

Elyzad

  • Conseillé par
    21 novembre 2019

    Alaeddine est en prison pour un crime horrible qui a fait l'actualité pendant des semaines. Du fond de sa cellule en attendant d'être transféré au quartier des condamnés à mort, le jeune homme raconte son parcours jusqu'au crime.

    Nejma, sa mère se livre elle aussi. De son petit village, jeune fille puis femme très convoitée voire harcelée car très belle, elle décide d'en sortir et d'aller vivre à la capitale quitte à en payer le prix fort. Mais la capitale lorsqu'on vit dans un quartier misérable n'est pas accueillante et elle se retrouve bientôt face aux mêmes difficultés, avec un mari en plus et un enfant non désiré.

    C'est un roman à double parole. Le fils et la mère se racontent, se répondent dans deux langues bien différenciées. Classique pour la mère, qui vit dans les années 70 dans son village. On retrouve parfois des airs de chroniques villageoises, de contes et légendes et pourtant ce qu'elle narre n'a rien de la fable. Fille rebelle, elle vit avec les garçons, adopte leurs jeux au grand dam de ses mère et grand-mère. Devenue pubère, elle est interdite de sortie, surtout avec les garçons pour ne pas entacher la réputation de la famille. De là naît son envie de liberté à la capitale.

    Le fils use d'une langue plus moderne, plus orale, même s'il l'on peut aussi parfois se retrouver dans la même sensation qu'avec le récit de sa mère. Lui, raconte sa vie entre un père effacé et aimant et une mère distante pour ne pas dire plus.

    Hassouna Mosbahi est parfois un peu répétitif et long, mais il construit son roman très habilement. Il procède selon un principe connu : il parle des conséquences d'un fait que l'on ne connaît pas encore, puis petit à petit, par bribes ou allusions, il l'explique. Il installe ainsi une tension, un suspense, un ressort dramatique dont il sait finement jouer. Son roman parle de la condition féminine, de la réputation des femmes vite bafouée parfois par de simples rumeurs, de la difficulté qu'elles ont d'être maîtresses de leurs corps devant l'autorité auto-proclamée des hommes : "Car chez nous, la mère est un vulgaire porte-manteau qui n'a aucune valeur, où l'on peut suspendre n'importe quoi. Les gens s'essuient les mains sur leur mère comme si c'était une serviette en papier dans les toilettes publiques. Elle est tout le temps insultée. Le gosse qui se bagarre avec un de ses copains commence par maudire la mère de son adversaire et, sans vergogne, a le toupet de la charger de tous les péchés du monde, lui qui mouille encore sa culotte et son lit, et ne sait rien faire sans sa maman, même pas lacer ses souliers." (p. 19/20) L'auteur aborde aussi la question de la pauvreté, de la pression sociale qui pousse à la jalousie et à la calomnie et à la rumeur. Difficile de sortir enjoué d'une telle lecture sauf parce qu'on sait qu'on vient de lire une histoire terrible et admirablement écrite. Je renoue de fort belle manière avec les éditions Elyzad grâce à ce roman fort et profond.