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Conseillé par (Libraire)
12 janvier 2024

LE BLUES D'UNE VIE

C’est une BD en noir et blanc. Exclusivement en noir et blanc.
Noir et blanc comme une portée de musique où les notes composent un morceau de blues.
Noir et blanc comme la ségrégation raciale outrancière qui règne à la fin des années trente dans les états du sud des états Unis.
Noir et blanc comme le costume à rayures impeccable d’un musicien noir, compositeur exceptionnel de 29 titres écrits dans les deux années qui précédent sa mort à l’âge de 27 ans.
Noir et blanc comme la vie éphémère et la mort brutale de Robert Johnson, ce guitariste errant appelé à devenir une star au Carnegie Hall de New-York et mort dans la déchéance totale.

C’est l’existence de cet homme, celui dont on dit « ce gars là, il s’aime pas. Il passe son temps à se saborder », que Frantz Duchazeau raconte par un récit où les souvenirs entremêlés aux derniers mois de la vie de Johnson donnent à voir une Amérique gangrénée par le racisme. On sait peu de choses de cet adolescent élevé dans les plantations de coton du Mississippi, laissant à l’auteur la possibilité de nous livrer sa version d’une existence à inventer. Puisqu’il faut commencer par l’enfance, celle de Bob est marquée par un drame originel, l’abandon de sa mère, auquel succède la mort de sa femme et de son enfant alors qu’il n’a que 19 ans. Mais la vie du futur guitariste, qui fuit le monde violent environnant en apprenant la musique, est indissociable d’une société dont Duchazeau nous montre la violente injustice. Marqué par ses drames et la quête d’un père inconnu, Robert est aussi victime de sa couleur de peau. Sa pérégrination finale avec son pote Johnny est une traversée dans l’Amérique profonde, celle où l’on pend les « négros », où l’on rentre pour une audition par une porte dérobée.

Duchazeau s’applique à traduire une descente aux enfers jalonnée d’alcool, d’aventures féminines, de violence. Enfant il le représente cheminant sur les chemins dans la position du poirier, tête en bas, pieds en l’air, une manière de voir les choses différemment et peut être d’échapper au regard de celles et ceux qui travaillent dans les champs. Ces ouvriers agricoles noirs, l’auteur les dessine de manière scrupuleuse, réaliste, avec un trait riche rappelant les photographies de Dorothea Lange ou de Walker Evans. L’environnement est décrit à la manière d’un véritable reportage immersif, documentaire qui n’oublie pas de détailler les boutiques, les véhicules, les rues d’un sud organisé autour de la ségrégation raciale. Portrait d’un musicien autodestructeur, cette Bd est aussi le miroir d’une société qui conserve encore aujourd’hui les traces de son passé.

Le dessin de Duchazeau est époustouflant passant d’un réalisme documentaire millimétré à des cases oniriques, charbonneuses, où le large fond blanc laisse la place à l’imaginaire et aux vides biographiques. Par de multiples procédés graphiques il donne à deviner les émotions que peuvent procurer la musique de Johnson. Il dessine la musique.

« Avec toi la musique cause plus haut » déclare un des personnages de la BD. S'il manque quelque chose à cet ouvrage, ce sont bien ces morceaux de blues envoûtants qui ont traversé les continents, le temps. Il suffit de poser un disque sur la platine et de relire en même temps cette remarquable BD. On peut vous promettre l’apparition d’une véritable chair de poule. A fleur de peau comme ce récit poignant et magnifique.

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