Conseils de lecture
Le recours aux forêts
Enfant des eighties, Kerri a subi de plein fouet la violence des troubles irlandais. Après des années d'errance géographique et psychologique, c'est grâce à sa langue maternelle, le gaélique, qu'elle se réapproprie sa terre. Un cri d'amour à l'Irlande, à ses payages, à ses habitants.
Un régal !
Mila
Un premier roman réjouissant !
Trois femmes, trois destins, trois époques.
Avec ce très beau premier roman, Emilia Hart réussit le pari de faire vivre trois personnages féminins attachants, tous liés entre eux.
En 1619, Alta, jeune femme solitaire et adepte des remèdes naturels est accusée de sorcellerie par sa communauté. Proche de la nature, c'est en elle qu'elle va puiser les ressources nécessaires pour faire face à ses bourreaux.
En 1942, la jeune Voilet est victime d'un cousin trop pressant. Sa passion pour l'entomologie et la nature lui permettra de surmonter ce traumatisme.
En 2019, Kate fuit la ville et un compagnon violent et se réfugie dans un cottage que sa grand-tante lui a laissé. La nature qui l'entoure lui rappelle étrangement des souvenirs qu'elle n'a pas vécus.
Un formidable roman sur la réparation et le besoin de se connecter aux éléments !!
Mila
Terres de sang
Le 22 février 2022 Jonathan Littell achève le manuscrit du livre qu'il a entrepris d'écrire un an auparavant, avec le photographe Antoine d'Agata, sur Babyn Yar (littéralement "Le ravin de la vieille"), lieu dans la banlieue de Kiev où furent assassinés par les nazis, les 29 et 30 septembre 1941, plus de 33000 Juifs. Le 24 février La Russie envahit L'Ukraine. « Déjà le texte que j'avais écrit était hors sujet, entièrement » constate Littell. En mai 2022 il retourne en Ukraine, toujours avec Antoine d'Agata et entame ce qui deviendra « Un endroit inconvénient », en intégrant à sa réflexion la ville de Boutcha et les villages alentour, toujours dans la banlieue de Kiev, désormais tristement connus pour être le lieu de massacres de masse commis par l'armée russe pendant le mois où elle a occupé les lieux, en mars 2022.
Fruit de nombreux allers-retours en Ukraine de ses deux auteurs, ensemble ou séparément, « Un endroit inconvénient » mêle description des lieux, d'une précision quasi obsessionnelle, récits laconiques des faits, recueil de témoignages, portraits empreints d'humanité. C'est surtout une ample et profonde méditation sur la mémoire, et sur l'Histoire, sa mécanique, les traces qu'elle laisse, ou qui disparaissent (Babyn Yar est aujourdhui un parc saturé de monument commémoratifs, mais où littéralement « il n'y a rien à voir » du lieu du massacre lui-même, dont les traces ont été effacées par les nazis, puis par les Soviétiques après la guerre). Un long chapitre revient sur l'histoire de l'Ukraine au XXe siècle, qui éclaire de façon limpide la complexité du devenir de ces « terres de sang » (selon l'expression de l'historien américain Timothy Snyder, abondamment cité par Littell).
Les photographies d'Antoine d'Agata, superbes, apportent au texte un contrepoint tantôt strictement documentaire, tantôt sombrement méditatif : portraits douloureux, sous-bois figés par le froid, inquiétant panache de fumée d'un incendie.
Un livre essentiel.
Jean-Luc
Un conte poétique
C’est ainsi. On peut difficilement l’expliquer mais ouvrir un livre de Hayao Miyazaki c’est entrer en poésie. A peine après avoir tourné quelques pages, lu quelques mots et la magie opère. Le dessin léger aux couleurs douces, les ciels étoilés et les vagues déferlantes, les visages enfantins ou terrifiants, les tentatives d’explications sont nombreuses et toujours incomplètes. C’est ainsi depuis toujours comme le démontre encore Le voyage de Shuna, publié pour la première fois en France, quarante ans après sa création au Japon. En feuilletant l’album, nous sommes en terrain connu et les références aux oeuvres déjà publiées dans l’hexagone sont nombreuses, comme un fil logique et cohérent dont Le voyage de Shuna serait le début et le film qui sort actuellement Le garçon et le héron, la fin provisoire.
Inspiré d’un conte tibétain, l’histoire débute « au fond d’une ancienne vallée, creusée par un glacier » où « se trouvait un petit royaume oublié de tous ». Installés en milieu hostile, les habitants meurent de faim. Le jeune fils du roi, Shuna, décide de partir à la recherche d’une céréale miraculeuse, l’orge, qu’un étranger à l’article de la mort a trouvé loin, très loin dans les plaines de l’Ouest. Contre l’avis de son père il selle et chevauche son yakkuru pour un périple qui le mènera peut être vers les graines espérées mais d’abord dans l’univers des êtres divins, un royaume « où nait et retourne mourir la lune ». Les rencontres seront nombreuses, terrifiantes parfois, mystérieuses toujours, comme ces géants qui chancellent dans les forêts dévorés par de petits animaux avant de disparaitre. Mais comme souvent chez Miyazaki, le voyage permet aussi de découvrir des êtres bienfaisants, doux et tendres. Ici, c’est Théa et sa petite soeur, retenues par des marchands d’esclaves, libérées par Shuna, qui termineront le voyage.
On pourrait penser en lisant ce résumé qu’il s’agit d’un scénario pour un film d’animation comme Miyazaki aime les créer. La lecture confirme cette sensation de voyages visuels où l’écrit compte moins que l’image. Les mots sont là pour assurer la transition des dessins. Nombreuses sont les ellipses, multiples les raccourcis et les zones d’ombre comme si la succession des dessins suffisait à susciter l’intérêt des lecteurs telle une frise qui se déroulait devant ses yeux. Alors on fait avec Shuna d’abord un voyage visuel dans un univers dont il nous dit qu’il a « pu se dérouler il y a fort longtemps » ou « dans un lointain futur ». Une alternative identique aux atmosphères radieuses et lumineuses de vallées ensoleillées et aux ambiances sombres, nocturnes et menaçantes de la cité des esclaves auxquelles le créateur nous a habitués. Crayon de bois et fluidité de l’aquarelle assurent la trame de ce film qui se déroule devant nos yeux émerveillés. On a presque envie de se passer de la bande son, ce que l’on peut faire après une première lecture, pour tenter de percer le mystère du trait et des couleurs de Miyazaki. On se laisse alors envoûter par ces double-pages réalistes ou oniriques, par ces lumières qui éclairent les montagnes aux sommets enneigés ou ces grandes étendues de sable comme survolées par un lecteur en apesanteur.
Graphiquement mais aussi d’un point de vue narratif, Le voyage de Shuna annonce les héroïnes et les héros futurs de Miyazaki. La détermination et l’impétuosité du personnage principal, l’amitié, sont présentes mais d’autres thèmes en gestation apparaissent déjà: la maltraitance de la nature, la mondialisation et l’égoïsme forcené des peuples, la mise en esclavage des plus faibles, la famine organisée à des fins de profits. Même les Dieux ne ressortent pas indemnes du récit. Autant de thématiques récurrentes qui résonnent quarante ans plus tard dans une actualité féroce et désenchantée.
Eclats de splendeur
Après un recueil « Ciel de nuit blessé par balles » et un roman « Un bref instant de splendeur » qui ont fait date, Ocean Vuong continue à tisser les fils du passé et de la filiation, de l'amour, du sens de la vie. Dédié à sa mère, le recueil embrasse les temps, les vies, avec virtuosité - qui ne rime pas avec superficialité. Vuong a été qualifié de "jeune prodige" aux États-Unis : faire le portrait de sa mère à partir d'un historique d'achats sur internet, c'est audacieux, et ça prend sens. On lit d'une traite, pris tour à tour par un lyrisme déchirant et un grand sens du récit, ébloui par des images déroutantes, troublé par des situations crues.
Avec Vuong, tout se transfigure vers le sublime, ou tout vire en pathétique : c'est selon. Un œuf dans une poêle ou l'after-shave du père sont des preuves minuscules de la beauté du monde, malgré tout. Le temps s'arrête, comme une balle en plein vol : et c'est l'écriture qui la fixe, qui rembobine même.
Frédéric